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confus et assourdissant emplissait la vaste salle. Soudain il se fit un grand silence. La Fayette montait à la tribune.

D’une voix grave et calme, que l’on écouta avec une attention qui tenait du recueillement, il dit : « Lorsque, pour la première fois depuis bien des années, s’élève une voix que les vieux amis de la liberté reconnaîtront encore, je me sens appelé à vous parler des dangers de la patrie que vous seuls à présent avez le pouvoir de sauver... Permettez, messieurs, à un vétéran de la cause sacrée de la liberté de vous soumettre quelques résolutions préalables dont vous apprécierez, j’espère, la nécessité : — Article premier. La Chambre des représentans déclare que l’indépendance de la nation est menacée. — Article II. La Chambre se déclare en permanence. Toute tentative pour la dissoudre est un crime de haute trahison ; quiconque se rendrait coupable de cette tentative sera traître à la patrie et jugé comme tel. — Article III. L’armée et la garde nationale ont bien mérité de la patrie. — Article IV. Le ministre de l’Intérieur est invité à porter au plus grand complet la garde nationale parisienne, cette garde citoyenne dont le patriotisme et le zèle éprouvés depuis vingt-six ans offrent une sûre garantie à la liberté, aux propriétés, à la tranquillité de la capitale et à l’inviolabilité des représentans de la nation. — Article V. Les ministres de la Guerre, des Relations extérieures, de l’Intérieur et de la Police sont invités à se rendre sur-le-champ dans le sein de l’Assemblée. »

On applaudit. La motion répondait aux sentimens de la Chambre, à ses colères comme à ses craintes. Mais pour proposer publiquement cet attentat à la Constitution, il fallait un homme qui eût le passé et l’autorité de La Fayette. Nul autre n’aurait pu raisonnablement l’oser. C’est pourquoi Napoléon ne s’est pas trompé en écrivant dans son testament que sa seconde abdication est due à La Fayette.

Les trois premiers articles furent votés sans discussion. Des bonapartistes, s’il en était encore, les uns gardaient un silence timide, les autres cédaient à l’entraînement général ; ils hurlaient avec les loups. Aucun d’eux n’osa ou ne voulut protester contre ce coup d’Etat parlementaire. Pour les libéraux qui pendant la Restauration s’étaient posés en apôtres de la Loi, en champions de la légalité, ils passèrent sans nul scrupule sur l’illégalité de la mesure. Que Napoléon, dans la plénitude de ses droits constitutionnels, décrétât la prorogation ou la dissolution de la Chambre,