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ils estimaient, comme l’avait dit La Fayette, que ce serait « un crime de haute trahison. » Mais que la Chambre se mit en insurrection contre l’Empereur et usurpât le pouvoir exécutif, c’était, à leurs yeux, l’acte le plus naturel et le plus légitime.

Un léger débat s’étant élevé sur la rédaction de l’article IV, Merlin de Douai en fit ajourner le vote jusqu’après la comparution des ministres. On adopta ensuite l’article V, puis l’ensemble de la motion. A la demande de l’ancien préfet de police Dubois, que l’Empereur, deux mois auparavant, n’avait pas voulu réintégrer au Conseil d’Etat, la Chambre vota l’affichage de la résolution dans Paris et les départemens. On décida, enfin, que cette résolution serait à l’instant transmise sous forme de message « aux deux autres branches de l’autorité représentative, » ce qui signifiait, en jargon parlementaire, la Chambre des pairs et l’Empereur.


V

L’Empereur aurait pu sans doute détourner ce coup, si au lieu de laisser parler longuement ses ministres et d’entreprendre de les convaincre en se grisant de ses paroles, il leur eût imposé sa volonté et se fût rendu avant midi à la Chambre dans son uniforme terni par la poudre. Mais il cherchait précisément dans son conseil l’énergie qu’il n’avait plus. Brisé de fatigue, ses forces physiques épuisées, il retardait le moment d’agir. Loin de brusquer la décision des ministres, il différait d’en prendre une lui-même. On ne s’était donc arrêté à aucun parti et l’Empereur continuait d’exposer ses plans pour sa nouvelle campagne de France, quand on fut informé, probablement par Regnaud, de la motion de La Fayette et du vote de la Chambre. En une seule pensée, rapide comme l’éclair, Napoléon mesura toutes les conséquences de cet acte. « J’aurais dû congédier ces gens-là avant mon départ, dit-il. C’est fini. Ils vont perdre la France. » L’impression est la même chez les ministres. Un instant gagnés par son éloquence fascinatrice aux grands desseins de l’Empereur, ils les jugent maintenant impraticables. Davout lui-même, qui a parlé avec ardeur pour les mesures énergiques, violentes au besoin, s’intimide. Il lui vient des scrupules de légalité. Il réfléchit que, s’il faut dissoudre la Chambre par la force, c’est lui, ministre de la Guerre, qui sera chargé de cette exécution. Il recule