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apparaissait comme un séjour enchanteur où tout serait à souhait pour son esprit et pour ses goûts.

Sa correspondance ne nous entretient ni de son départ pour l’Angleterre ni de son arrivée à Londres, et pas davantage de l’accueil qu’elle y reçut. Elle y est installée depuis plusieurs mois lorsque reprend avec son frère son commerce épistolaire. C’est en avril 1813, au moment où Napoléon s’efforce de déjouer les calculs des puissances coalisées et, quoique accablé par le nombre, leur porte de terribles coups. Alexandre de Benckendorff est sur le théâtre de la guerre. « J’apprends ce matin par des extraits du Moniteur, lui mande sa sœur, qu’on nous a frottés sur l’Elbe. Comme il n’y a aucun détail d’ajouté à cela, je pense que c’est plutôt d’un avantage remporté sur l’ennemi que j’ai à vous féliciter. On acquiert une certaine facilité à commenter les gazettes françaises ; il n’y a jamais qu’à substituer le mot de défaite à celui de victoire qu’ils se donnent. »

Quelques semaines plus tard, la marche des alliés sous l’impulsion toujours plus active d’Alexandre inspire à la jeune femme un véritable chant d’enthousiasme et d’admiration à l’adresse de son souverain : « Qu’il est beau d’avoir fait cette belle guerre et qu’il est gigantesque et digne seulement des Russes de se trouver dans l’espace de cinq mois des bords de la Moskowa à ceux de l’Elbe ! Qu’il est bien plus beau encore, après cette série de victoires et de triomphes, d’en user avec la modération que fait notre empereur ! Cela le met au-dessus de tout ce qui, jusqu’à présent, a paru sur le trône, et que l’Europe est heureuse de voir ses destinées confiées à Alexandre !… Combien le monde est renversé depuis que nous ne nous sommes vus ! Quelle brillante année vous avez vue et comme votre devise, alors, s’est trouvée la véritable arme qu’il fallait employer pour parvenir là où vous êtes et surtout là où vous en viendrez, car tout s’organise pour accomplir le grand œuvre. L’Empereur est admirable et bien admiré aussi, je vous assure. Comme la modération, la loyauté font bien avec la puissance ! Sa gloire est solide. »

Entre temps, elle a commencé à se faire une place dans la société britannique. A la cour comme à la ville, elle a trouvé l’accueil qu’elle souhaitait. Le Prince de Galles, qui exerce le pouvoir avec le titre de régent, aux lieu et place de son père George III, frappé de folie et tombé en enfance, la comble de prévenances et d’égards. A son exemple, les membres de la famille