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II

Jusqu’à ce jour, la politique l’avait laissée indifférente. Elle paraît ne s’y être que faiblement intéressée pendant les premières années de son séjour à Londres et n’avoir pris que peu de part aux graves affaires dont son mari, en sa qualité d’ambassadeur de Russie, était chargé de débrouiller l’écheveau. Que le pouvoir en Angleterre fût aux mains des tories ou aux mains des whigs, cela lui importait peu. A quelque parti qu’ils appartinssent, n’était-elle pas choyée par les conseillers de la couronne ? L’opposition ne l’environnait-elle pas des mêmes égards ; la famille royale ne la traitait-elle pas comme une privilégiée ; ne trouvait-elle pas partout, enfin, dans la société britannique l’accueil que méritaient les représentans de cet empereur Alexandre qui, depuis qu’il s’était rapproché de l’Angleterre, n’avait cessé d’être son allié fidèle, complaisant, empressé ?

Les difficultés qui devaient éclater plus tard entre les deux pays, quand l’étroite union contractée en vue d’une œuvre commune ne serait plus assez nécessaire pour tarir à leur source les causes des conflits et des rivalités, ces difficultés dormaient encore : on ne les prévoyait pas, on ne les soupçonnait pas. La France, dont les puissances alliées occupaient le territoire, était pour tous, au même degré, l’ennemie, la seule et la plus redoutable, la nation turbulente dont il convenait de se défier, de laquelle il y avait lieu d’exiger d’amples dédommagemens aux efforts qu’il avait fallu déployer pour la vaincre. Le péril dont ses agitations intérieures menaçaient l’Europe était encore trop visible et trop pressant pour qu’on laissât se déchirer le contrat qu’avait créé entre les grands États le besoin de la contenir.

Il n’aurait pu, par conséquent, s’élever, à cette heure, de nuages entre les alliés ; et au grand poste qu’à côté de son mari, elle occupait dans le concert européen, l’ambassadrice russe n’avait rien à souhaiter. Il lui suffisait, pour être heureuse, de se laisser vivre, de s’en tenir à ses devoirs de mondaine, de donner ainsi du relief à ses fonctions, de les remplir de manière à grandir le pays qu’elle représentait. Elle ne rêvait rien au-delà de ce rôle qui exigeait uniquement du tact, de la bonne grâce et de l’esprit. La politique ne l’attirait pas ; elle en laissait le monopole à son mari et n’attachait de prix qu’à se rendre digne