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successives vont lui meurtrir le cœur. A la fin de 1825, elle apprend tout à coup celle de l’empereur Alexandre, qu’elle aimait et admirait : « Ah ! mon frère, quel malheur que celui qui vient de nous frapper ! Un courrier du comte Nesselrode nous apporte aujourd’hui l’affreuse nouvelle ; aujourd’hui, jour de sa naissance, nous apprenons sa mort ! Depuis huit jours, cette triste nouvelle circulait. Je ne pouvais pas me résoudre à la croire, tant mon cœur se soulevait contre cette horrible pensée que l’empereur Alexandre n’était plus ! Qu’il faut de religion pour se résigner à un semblable décret de la Providence ! »

Six semaines plus tard, ses regrets sont bien amortis. L’avènement de Nicolas, qui vient d’octroyer un titre princier à la famille de Liéven, console l’ambassadrice de la perte que viennent de faire la Russie et l’Europe. Elle se réjouit en pensant que son ami Wellington assistera comme représentant du roi d’Angleterre au couronnement du nouveau tsar. Dans ses rapports avec le généralissime anglais, elle en est encore à la lune de miel, comme, en parlant de l’empereur Nicolas, elle n’a qu’accès de ferveur. Cet enthousiasme ne durera pas en ce qui touche Wellington. Mais, à cette heure, il affecte des formes lyriques. Elles témoignent d’une chaleur d’âme qui ne s’expliquerait guère si l’ambassadrice était, à l’habitude, la femme ennuyée, figée dans la glace, dont nous parle Charles Gréville.

« Je vous écris un mot, cher Alexandre, par le duc de Wellington. Je suis ravie qu’il aille voir notre pays, et je suis sûre que son arrivée sera reçue avec bien du plaisir par l’Empereur et par notre public. Je jouis d’avance de ses succès, et des impressions qu’il rapportera de chez nous. C’est le plus beau, le plus noble caractère du monde, et il est peut-être plus grand encore par ses sentimens que par sa haute réputation militaire.

« Il se rend chez nous avec un vrai plaisir. L’Angleterre ne pouvait envoyer un ambassadeur plus digne de la grande circonstance. Il admire avec tout le monde la superbe conduite de notre Empereur. Cher Alexandre, quels événemens ! quel caractère que celui que l’Empereur déploie ! Quel respect, quelle admiration que ceux que lui porte l’univers ! Quelle magnifique race de princes que la nôtre ! Pauvres princes du reste de l’Europe ! Quelle pitié à côté des nôtres ! Si vous m’avez vue Russe dans l’âme à mon dernier séjour, jugez tout ce que je dois éprouver dans ce moment !