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transformer et de l’élever : il se trompe sur le premier point comme sur le second. La réponse que lui a faite M. Ribot a dégagé la Chambre du poids que son discours avait fait peser sur elle Quand bien même tout ce qu’a dit M. Jaurès serait vrai, M. Ribot a demandé si c’était à nous de le dire, et la Chambre a témoigné par ses manifestations qu’elle ne le croyait pas. Le patriotisme a sa pudeur comme la vertu, a affirmé M. Ribot ; il y a des choses qu’un peuple vaincu fait mieux de taire ; sa dignité le lui conseille quand même son intérêt ne le lui imposerait pas. Au surplus, il n’est pas vrai que l’altitude de l’Allemagne à notre égard ail été constamment pacifique depuis trente ans. M. Ribot a rappelé les incidens de 1875, l’affaire Schnæbelé, le voyage intempestif de l’impératrice Frédéric à Paris. Ce sont choses que tout le monde connaît. Il y en a d’autres qui sont testées dans la pénombre des chancelleries et ne sont heureusement pas parvenues au grand jour de la publicité. Ceux qui ont vu de près comment les affaires de l’Europe ont été conduites depuis la guerre savent quelles amertumes nous avons dû dévorer, quelles angoisses nous avons dû étouffer, et pour mieux dire quelle sagesse nous avons dû avoir pour garantir intact ce trésor de la paix si précieux à M Jaurès, mais qui a été si souvent en péril sans qu’il s’en doutât. La situation s’est peu à peu améliorée parce que nous sommes restés forts, et qu’une grande alliance est venue nous en récompenser : mais qu’arriverait-il si les théories de M. Jaurès prévalaient dans nos âmes, alors qu’elles ont si peu de prise sur celles de nos rivaux ? C’est la question que la Chambre se posait en écoulant M Jaurès, et qui s’est trouvée résolue pour elle lorsqu’elle a entendu M. Ribot.

Elle a entendu ensuite M. le ministre de la Guerre auquel M Ribot avait ouvert et même indiqué les voies. Cette propagande abominable qu’on fait dans nos casernes, cette exhortation à l’indiscipline qu’on y répand, M. Ribot a sommé M. Jaurès de les désavouer à la tribune M. Jaurès n’en a rien fait mais le général André l’a fait, lui, en termes catégoriques. Lorsqu’on est passé au vote, les déclarations du gouvernement ont été approuvées par 441 voix et désapprouvées par 55. Parmi ces dernières était celle de M Jaurès : c’était sa réponse aux invitations de M. Ribot. De tout ce qui précède, nous nous garderons bien de tirer une conclusion exagérée. Il n’est pas probable que nous soyons déjà à la veille d’une transformation dans la majorité de la Chambre. Il est toutefois permis de constater qu’à deux reprises différentes, et sur des questions aussi simples que graves, cette séparation des socialistes et de la majorité que M. Deschanel a voulu préparer