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chefs français n’avaient plus le feu sacré qui emportait maintenant les Blücher et les Gneisenau.

York était bien l’homme de ces situations. Vigoureux et hargneux, incapable de démoralisation, prompt à se ressaisir, dès le 24, en poursuivant la retraite, il travaillait à reconstituer son corps. Mais lorsque, le soir de ce même jour, le 24, il reçut un nouvel ordre du quartier général, qui prescrivait pour le 25, à huit heures du matin, de faire de nouveau demi-tour, de reprendre la marche en avant, et de commencer un mouvement offensif, son irritation, mal contenue durant les jours précédens, fit explosion. Il envoya l’un de ses officiers, le major Diederich, au quartier général pour exiger quelque repos. Pour toute réponse, Diederich fut menacé des arrêts et du conseil de guerre. Il fallut obéir, et, le 25 au matin, à huit heures, le corps prussien se mit en marche vers l’ennemi. La tête du corps était à peine arrivée à Jauer qu’un nouveau contre-ordre l’y arrêta. Cette fois, York n’y tint plus. Il se rendit lui-même au quartier général, et y exposa ses griefs avec la plus extrême violence. Mais il trouva à qui parler. Blücher, dit le biographe d’York, se laissa emporter aux dernières limites. Le biographe de Gneisenau retrace la scène entière. York entre au milieu des officiers prussiens et étrangers. Gneisenau, maître de lui-même, entraîne York dans une salle voisine pour que les étrangers n’assistent point à ce débat orageux. Blücher vient les y rejoindre. Gneisenau, bien qu’inférieur en grade, tient tête à York et répond avec aigreur, mais avec sang-froid, à ses emportemens.

La scène a laissé un souvenir très vif à ceux qui en furent témoins. Langeron, qui y assistait, ne manque pas de nous la décrire. « Le général Blücher, » raconte-t-il, « prit son quartier à Jauer ; j’y allai, le 25 de grand matin. J’y fus témoin de la scène la plus scandaleuse, York était dans la chambre de Blücher et vomissait contre lui et contre Gneisenau et contre Müffling les plus formidables injures que la langue allemande peut fournir. Je ne les comprenais point, car, Dieu mercy, je ne scais pas l’allemand, mais le ton me faisait juger de leur énergie ; les trois antagonistes de York lui rendaient ses vociférations avec usure ; le tapage et les cris de ces messieurs s’entendaient de la rue : je crus qu’ils allaient se sabrer et ils n’en furent pas éloignés ; je me retirai sans avoir pu dire un mot à aucun d’eux et je revins à mon quartier général qui n’offrait pas de pareilles scènes ; du