Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

musique ne fut incompatible avec la douleur. La raison véritable, et métaphysique plutôt que morale, c’est que dans l’Enfer, — Job l’a dit, croyons-nous, le premier, — tout est désordre. Mais le Purgatoire, et le Paradis plus encore, baignent dans la musique autant que dans la clarté


Una melodia dolce correva
Per l’aer luminoso.


Voilà le Purgatoire et surtout le Paradis ; voilà les deux sortes d’impressions et les doubles délices éprouvées par le mystique voyageur. Les âmes se révèlent à lui comme des voix et comme des rayons ou des flammes, et malgré les splendeurs qui souvent l’éblouissent, il semble que Dante soit encore moins touché, moins ravi par la lumière que par les sons. Tout, jusqu’à la brise elle-même, est pour lui mélodie. A peine a-t-il commencé de gravir les degrés qui mènent au quatrième cercle du Purgatoire, qu’il sent près de lui comme un battement d’ailes, et, dans le vent qui lui souffle au visage, il entend : « Heureux les pacifiques, ceux qui n’ont pas de colère[1]. » Entre les phénomènes lumineux et les phénomènes sonores, la relation, la proportion même est constante. Au troisième cercle du Paradis, dans l’obscure clarté de la lune, un Ave Maria, soupiré par Piccarda Donati, s’évanouit comme la lueur de l’astre pâle. La correspondance peut même aller jusqu’à l’identité, il arrive que Dante mêle indifféremment les images de l’un et de l’autre ordre :


E come in fiamma favilla si vede,
E come in voce voce si discerne[2].


ou que dans un seul vers :


Si del cantare e si del fiammeggiarsi[3],


il unisse l’une et l’autre beauté et célèbre la double merveille, rayonnante et chantante à la fois. Il l’écoute et la contemple avec transport au vingt-septième chant du Purgatoire :

  1.  :: E tosto ch’io al primo grado fui,
    Senti’mi presso quasi un muover d’ala
    E ventarmi nel volto e dir : Beati
    Pacifici, che son senza ira mala.
    (Purgat. XVII.)
  2. Parad., VIII.
  3. Parad., XII.