Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


L’ange du Seigneur nous apparut joyeux. Hors de la flamme, il se tenait sur la rive et chantait : « Heureux ceux qui ont le cœur pur, » mais d’une voix plus puissante que la nôtre... Et mon doux Père, pour m’encourager, allait parlant toujours de Béatrice, et disant : « Il me semble déjà voir ses yeux. » Une voix nous guidait, qui chantait sur l’autre rive, et nous, n’écoutant qu’elle, nous sortîmes du feu à l’endroit où l’on montait.

Venite, benedicti Patris mei. Ces paroles se firent entendre au milieu d’une lumière qui était là si vive, que nos yeux furent vaincus et ne purent la regarder[1].

Quelle musique, sur ces paroles, Dante peut-il avoir entendue ? Sans doute une mélodie grégorienne qui se trouve dans les plus anciens manuscrits et se chante à Laudes, au Benedictus de la Feria 2a, le premier dimanche de Carême. C’est la même qu’en lisant le poète on croit entendre encore. Mais une autre, qu’on ne saurait non plus séparer de ce texte, chante aussi dans la mémoire : je veux parler de la célèbre phrase de Judex dans Mors et Vita. Et parce qu’ici la musique de Gounod met une sorte d’auréole autour de l’antienne liturgique, parce que l’accompagnement environne la mélodie comme d’une gloire, la phrase en question rappelle et n’est pas loin de reproduire justement cette combinaison des sons et de la lumière que Dante a si tendrement aimée.


J’ai vu, dit-il ailleurs, j’ai vu des éclairs vivans et vainqueurs se faire de nous un centre et d’eux-mêmes une couronne. Plus douce était leur voix que leur aspect n’était éclatant... Dans le royaume du ciel, d’où je reviens, il y a des joies si précieuses et si belles, qu’on ne peut les emporter en quittant ce séjour ; et le chant de ces flammes est du nombre[2].


Ainsi la musique le ravit encore plus que ne fait la lumière et leur union surtout lui paraît un tel miracle, qu’il ne peut l’imaginer hors du Paradis.

Autour du pèlerin qui prête l’oreille, tout chante et tout est

  1. Toutes les citations du Purgatoire sont empruntées à la belle traduction d’Ozanam.
  2.  ::Io vidi più fulgor’, vivi e vincenti
    Far di noi centro e di sè far corona,
    Più doici in voce che in vista lueenti
    ………
    Nella corte del ciel, dond’io rivegno,
    Si trovan molte gioie care e belle
    Tanto, che non si posson trar del regno,
    E il canto di quel lumi era di quelle. (Parad., X.)