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des catégories de l’idéal sonore. L’âme du moyen âge s’exprima par elle et Dante fut témoin de sa gloire : c’est le chant grégorien, ou plain-chant, plus « concordant », plus unanime encore que ne le sera la polyphonie du XVIe siècle, car dans l’une les voix chantent ensemble, mais dans l’autre elles chantent pareillement.

Voici maintenant de véritables cantates, pour soli et chœurs. Pierre d’Aragon et Charles de Provence ont achevé le Salve Regina. Dans le silence, le poète écoute en vain, ou, plus littéralement, il ressent l’inutilité même d’écouter :


Quand’io incominciai a render vano
L’udire...


Parole de musicien encore plus que de poète, comme si l’oreille de l’homme n’était faite que pour la musique, et que celle-ci méritât seule d’être entendue. Bientôt elle recommence. Une âme s’est levée, les mains jointes vers l’Orient ; l’hymne Te lucis ante s’échappe dévotement de ses lèvres, et d’autres âmes, semblables à des coryphées, âmes de princes et de rois, lui répondent avec la même dévotion et la même douceur.

Il arrive aussi, comme dans la lyrique chorale des Grecs, que le chant se mêle à la danse :


Tre donne in giro...
Venian danzando.


Ces trois femmes qui viennent en dansant : l’une vêtue de rouge feu, l’autre d’émeraude et la troisième d’un blanc de neige, sont les vertus théologales. Elles dansent toutes les trois, mais la charité seule chante. Ailleurs encore les sons provoquent des mouvemens ; la musique fixe des figures féminines en des attitudes charmantes : muettes, aux écoutes, elles suspendent leurs pas un instant pour les reprendre aussitôt, les réglant sur la mélodie qu’elles avaient perdue et qu’elles retrouvent[1].


« Volgi, Beatrice, volgl gli occh.i sant »
Era la lor canzone, (c al tuo fedele,
Che, per vederti ha mossi passi tanti. » (Purg. XXXI.)

  1.  ::Donne mi parver non da ballo sciolte,
    Ma che s’arrestin tacite ascoltando
    Fin che le nuove note hanno ricolte
    ( Parad., X.)