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chenal même du fleuve dont la berge, rocheuse du côté de Rbat, présentait, du côté de Salé, une grève de sable resserrant la passe ; les navires étaient souvent obligés de décharger leurs canons et leurs marchandises en pleine mer pour pouvoir franchir la barre. Il est à remarquer que les autres villes corsaires n’étaient pas mieux partagées : Tripoli, dans les sables, était exposée aux mauvais vents ; Tunis communiquait avec la mer par un chenal si étroit qu’une galère avait peine à y passer ; Alger n’était pas même située dans une découpure de la côte, et sa darse, constamment réparée par les esclaves chrétiens, n’offrait qu’un médiocre abri. On en peut conjecturer que ces conditions maritimes, défectueuses pour un port ordinaire, étaient au contraire favorables à l’établissement des repaires de pirates ; elles les obligeaient à avoir des bateaux plats, de formes légères, dont les vitesses étaient très supérieures à celles des vaisseaux chrétiens et qui avaient, en outre, l’avantage de se dissimuler dans les plus petites baies où ne pouvaient les atteindre nos pesans navires, contraints de mouiller au large. Salé, avec son mauvais port, était cependant la meilleure « échelle d’Occident » : l’Europe y écoulait ses produits à destination du Maroc et leur affluence était telle qu’ils se vendaient au-dessous de leur valeur. « Il serait très nécessaire, écrit un de nos consuls à Maurepas en 1699, que Votre Grandeur donnât des ordres pour diminuer le commerce de Salé de la moitié, en empêchant les bâtimens français d’y aller aussi fréquemment qu’ils font ; comptez, Monseigneur, que d’une très bonne Echelle ils en vont faire une très méchante, de manière qu’aujourd’hui les marchandises d’Europe sont à meilleur marché en Barbarie qu’en Europe même, par la quantité qu’on y a portée[1]. »


II

C’est aux Maures d’Espagne qui vinrent s’y fixer que Salé dut sa prospérité. Dès le commencement du XVIe siècle, en 1502, un premier décret d’expulsion avait fait émigrer d’Espagne au Maroc des milliers de musulmans, malgré la défense qui leur avait été faite, sous peine de mort et de confiscation, de passer en Afrique[2].

  1. Affaires étrangères. Mémoires et Documens. Maroc 3, f° 187.
  2. Décret du 12 février 1502. On laissait aux Maures la faculté de disposer de leurs biens et on leur assignait la Turquie pour séjour.