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gauche : a-t-il pensé qu’il relèverait ses affaires en donnant à l’esprit anti-militariste une satisfaction sans précédens ? C’est possible ; nous doutons cependant qu’il y ait réussi. Certes, les journaux socialistes sont enchantés de voir arracher les plumes blanches du chapeau d’un général ; ils en éprouvent quelque plaisir ; mais ils n’oublient pas pour cela les tentatives d’indépendance, bien vite réprimées pourtant, auxquelles le général André s’est laissé entraîner quelquefois.

Au surplus, qu’il se réconcilie ou non avec l’extrême gauche-cela n’intéresse que lui. La question posée par les incidens de Clermont a une portée beaucoup plus haute. L’armée était autrefois une famille dont tous les membres vivaient les uns avec les autres dans une camaraderie pleine de confiance. Depuis quelque temps, il n’en est plus ainsi. On a prononcé un très gros mot, celui de délation. Nos officiers ne vivent plus, ne peuvent plus vivre à côté les uns des autres dans le même abandon que permettait la familiarité d’autrefois. On les menace de les dénoncer tantôt en haut, tantôt en bas lieu, ce qui revient au même. Il semble bien que l’incident de Clermont soit une manifestation de ce nouvel état d’esprit : si nous nous trompons, l’interpellation le montrera. Mais, jusqu’ici, que voyons-nous ? Une cause infime et misérable ayant pour conséquence la disgrâce d’un officier général estimé de tous : et, certes, un pareil fait a besoin d’être expliqué.

La récente publication d’un Livre Jaune par notre ministre des Affaires étrangères n’est pas le premier fait qui ait attiré l’attention sur les affaires de Macédoine : depuis assez longtemps déjà, on entendait dire partout, et on lisait dans tous les journaux européens, que le retour du printemps ne manquerait pas d’amener des événemens très graves dans la péninsule balkanique. A coup sûr, le danger est grand. Il l’est plus que jamais. Ce n’est pas la première fois qu’il apparaît comme inquiétant à cette période de l’année, et, sans remonter plus haut, il se présentait déjà l’année dernière avec des symptômes assez analogues à ceux d’aujourd’hui : cependant, ces symptômes s’accentuent à mesure que le temps passe et que les griefs s’accumulent contre l’administration ottomane. La périodicité de ces crises orientales est d’ailleurs un phénomène bien connu, et constaté par une observation à la vérité plus empirique que scientifique. Dans le dernier grand discours qu’il a prononcé devant le Reichstag, le 6 février 1888, discours où il a résumé un certain nombre de faits se rattachant à sa longue expérience politique, le prince de Bismarck s’ex-