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lutte contre les congrégations se plaisaient à dire, avec Gambetta, que l’anti-cléricalisme n’est pas un article d’exportation. Je reconnais volontiers que, jusque parmi les anti-cléricaux, il en est encore d’assez patriotes ou d’assez politiques pour s’approprier le mot du grand tribun. Mais, déjà, ils sont en minorité dans leur camp. Nous avons entendu, il y a quelques mois, un des membres du gouvernement, M. le ministre de la Marine, répudier comme surannée, dans un discours public, à Bizerte, la célèbre formule de Gambetta, se vantant, pour sa part, de n’avoir jamais compris pourquoi la France avait besoin de deux politiques dissemblables, l’une pour le dedans, l’autre pour le dehors. Et entre tous les propos tenus à la fin des banquets par M. le ministre de la Marine, ce n’est pas un de ceux qui ont le plus choqué le public. M. Pelletan aurait du reste pu dire, pour sa défense, qu’alors même que la République s’y résignerait, un grand pays ne saurait longtemps avoir une double politique, une pour ses nationaux, une pour l’étranger ; qu’il risquerait d’y perdre sa dignité, sans grand profit pour son influence réelle au loin.

La formule de Gambetta est d’un politique qui était, en même temps, un patriote passionné pour la grandeur de la France. Elle ne saurait guère servir de devise ou de programme à un gouvernement. C’est, en réalité, un de ces mots sonores, jetés au cours de discussions oratoires, qui ont plus d’éclat que de substance. A bien la presser, la célèbre formule risque de paraître creuse et vide. Tout au plus serait-elle juste et acceptable dans un pays où, sous le nom d’anti-cléricalisme, on se contenterait de mettre un frein aux prétentions ou aux empiétemens du clergé, de contester ou d’enlever, par exemple, à l’Eglise la qualité de religion d’État ou la direction suprême de l’enseignement. Mais est-ce à cela que se bornent, aujourd’hui, les lois de la République et le zèle des hommes qui dirigent la campagne contre l’Eglise ? En dépit du mot de Gambetta, un pays ne peut exporter que ce qu’il produit. Si la France ne doit plus produire, chez elle, que de l’anti-cléricalisme, que veut-on qu’elle exporte d’autre au dehors ? Pour semer au loin des religieux et des missionnaires, il faut au moins en conserver et en cultiver la graine ; et c’est précisément ce que prétendent interdire les partis au pouvoir, en fermant les maisons mères et les noviciats des congrégations.

Ces congrégations, nous dira-t-on peut-être, le gouvernement qui se fait un devoir de les dissoudre sur le territoire français se