Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

naturellement destinées aux plaisirs des plus hauts seigneurs. Pour n’avoir point compris l’esprit exact de son office, on sait comment Madame de Navailles, gouvernante des filles de la Reine, fut disgraciée : n’avait-elle pas prétendu contrarier le caprice de Louis XIV pour Mademoiselle de la Mothe-Argencourt et fait griller la fenêtre qui donnait passage au monarque !

Mais, de tous ces exemples qui s’offraient aux yeux étonnés de la jeune Bretonne, lequel était plus merveilleux que celui de cette autre jeune fille, de noblesse provinciale comme elle, qui, huit ans plus tôt, avait été elle aussi des filles d’honneur de Madame et dont deux des compagnes, au moins, Mesdemoiselles de Dampierre et du Bellay, étaient aussi celles de Mademoiselle de Kéroualle ? Laquelle des filles d’honneur pouvait se défendre de rêver la fortune de Louise de La Vallière, duchesse de Vaujours, dont la faveur, en déclin pour les initiés, demeurait éclatante aux yeux de la cour ? Quoi d’étonnant si les parens de Louise de Kéroualle eussent fait comme tant d’autres ? Saint-Simon les en accuse formellement. « Ils l’avaient, dit-il, destinée à être maîtresse du roi : » c’est la concurrence de Mademoiselle de La Vallière qui aurait réduit à néant leurs espérances. Mais les dates méritent plus de créance que Saint-Simon lui-même : Louise de Kéroualle avait douze ans à l’avènement de La Vallière, et son arrivée à Paris le suivit de huit autres années. Rien ne permet donc d’attribuer aux Kéroualle pareille ambition. Il paraît plus vraisemblable, nous aurons lieu d’y revenir, que leur candeur provinciale gardait des préjugés inconnus à la cour. Sans doute étaient-ils de ces parens nobles, naïfs et peu fortunés qui, au dire de l’auteur anonyme d’une histoire de Madame de La Vallière, « sont persuadés qu’ils ne peuvent ménager à leurs filles des conditions plus avantageuses qu’en les mettant à la cour et les plaçant près des princes et des reines, » sans rien voir au delà.

Il semble que la confiance des Kéroualle dans la sagesse de leur fille ait été d’abord justifiée. Plus tard, une grande dame anglaise, la marquise de Worcester, lui reprocha en langage des halles une intrigue avec le comte de Sault. Aucune des chroniques du temps, si friandes de scandales et d’aventures galantes, ne confirme cette aventure. En l’absence de preuve, le caractère ultérieur de notre héroïne nous dispense d’y ajouter foi. Sauf omission, son nom ne figure que dans un seul document de