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deux filles qui sont à elle... La maîtresse versait un torrent de larmes. Ses soupirs et ses sanglots coupaient ses paroles. Jamais spectacle ne m’a paru plus triste ni plus touchant. » Quoique le roi gardât envers elle des ménagemens extérieurs, ce n’était un secret pour personne que leurs relations s’étaient fort espacées. Comment se tira-t-elle de cette situation presque désespérée ?

S’il fallait en croire les Mémoires où Madame de Mazarin s’est fait peindre par Saint-Réal, avec les traits qu’elle voulait offrir à la postérité, une scène fort dramatique aurait édifié la favorite sur la vertu spartiate de celle qu’elle croyait être sa rivale et toutes deux se seraient juré une amitié éternelle. La réalité est moins mélodramatique. Nous en trouvons l’expression dans la correspondance diplomatique où l’ambassadeur Courtin, épicurien spirituel et disert, se fait auprès de Louvois le courrier empressé des aventures des dames de la cour. Si Madame de Mazarin était plus belle que la duchesse de Portsmouth, elle le lui cédait de beaucoup, sinon en esprit, du moins en intelligence politique et en persévérance. Propre à réunir autour d’elle une cour de lettrés et à tourner les têtes les plus solides, elle l’était beaucoup moins à conquérir une situation énergiquement défendue et où il était difficile de se maintenir. Tout épris qu’il était de sa charmante personne, Charles II, dans l’état obéré de ses finances, souhaitait que le soin de l’entretenir demeurât à M. le duc de Mazarin. L’économie s’alliait à sa bienveillance naturelle pour le détourner de disgracier la duchesse de Portsmouth. Il lui conserva donc et sa faveur officielle et son attachement, d’autant plus solide qu’à chaque occasion, Madame de Mazarin se compromettait à plaisir, comme si son mari eût été le seul homme qu’elle n’eût pu souffrir, et, à peine Saint-Réal écarté, témoignait publiquement au prince de Monaco, en dépit des conseils de Saint-Evremond, combien elle le trouvait à son goût.

Sans doute Charles II rendit à la belle Italienne la pension qu’à la suite de cet événement il lui avait supprimée dans un moment de mauvaise humeur, mais il la jugea désormais à sa valeur. Exquise à voir et à entendre, Madame de Mazarin était faite pour jouer au volant avec Madame de Sussex, à l’hombre avec Courtin, à la bassette avec le premier venu, pour inspirer des madrigaux à Saint-Évremond et faire passer quelques heures agréables à ses visiteurs : il ne fallait pas lui demander davantage.