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difficile de le savoir, et peut-être Bou-Hamara ne le savait-il pas très bien lui-même. Ce qui est sûr et très caractéristique, c’est qu’il était affilié à la grande et puissante secte des Derkaoua, et le fait que sa fortune a commencé dans le Metghara, centre d’action et d’influence des Derkaoua, confirme qu’il n’était sans doute que l’instrument de cette confrérie aux lointaines ramifications, et le représentant du particularisme berbère.

On sait que l’ordre des Derkaoua, fondé au siècle dernier par Mouley-el-Arbi-el-Derkaoui et son fils Mohammed-ben-el-Arbi-el-Alaoui, du Metghara, a trouvé des adeptes surtout parmi les tribus berbères ; très puissant et très répandu, il est, au Maroc, en quelque sorte l’analogue de ce qu’est, dans le Sahara et la Tripolitaine, la secte des Senoussites ; il répond à, la passion d’indépendance politique et religieuse qui a été, de tout temps, le caractère distinctif des Berbères. Les Derkaoua se recrutent parmi les pauvres ; avec leurs bâtons et leurs chapelets, ils parcourent les douars et les bourgades, comme jadis nos moines mendians ; ils s’astreignent à des pratiques particulières, comme de répéter un certain nombre de fois les formules du Coran ; dans la prière, ils ne mentionnent à voix haute que Dieu seul et se contentent d’ajouter, à voix basse, le nom de Mahomet. Ils se séparent ainsi de l’orthodoxie musulmane et témoignent ne reconnaître d’autre souverain que Dieu ; la conséquence est que, s’ils respectent, dans le Sultan, son caractère religieux, ils ne reconnaissent pas son autorité temporelle ; passionnés pour une indépendance ombrageuse, ils haïssent les étrangers et prêchent la guerre sainte. Mouley-el-Hassan, pendant son laborieux règne, a été en lutte constante avec leur influence, au Tafilelt comme dans les montagnes des Brâber. Ainsi, la révolte de Jelalli-ez-Zerhouni apparaît comme un épisode nouveau de la lutte, plus de vingt fois séculaire, des maîtres des plaines marocaines contre le particularisme indomptable des tribus montagnardes. C’est en étudiant ces tribus que nous pourrons nous rendre compte de la portée du conflit actuel, de ses origines et de ses conséquences.


III

Si, partant de Fez, on se dirige vers la vallée de la Moulouya et nos villes algériennes de Lalla-Marnia et de Tlemcen,