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Christ. Les murs de la Chapelle Sixtine sont partagés par moitié entre la Loi et la Grâce. Les actes du Législateur ne sont, en face des actes du Rédempteur, qu’une préparation et une « figure : » leur suite forme une prophétie vivante, dont la vie du Dieu fait homme est l’accomplissement.

Dans les fresques de la Sixtine, l’Evangile domine et « commande » la Bible si impérieusement, que deux séries d’épisodes de la vie de Moïse ont été violemment transposés, pour prendre place en regard d’épisodes correspondans de la vie du Christ, Le premier tableau de l’histoire de Moïse, sur la paroi latérale, celui que précédait immédiatement l’image du berceau flottant sur le Nil, n’est pas celui qui raconte la jeunesse du héros, sa fuite au désert, son mariage et sa vocation : c’est le tableau qui montre Moïse en voyage avec toute sa famille. Pour le spectateur, Moïse revient en Égypte avant d’en être parti, et il assiste à la circoncision de son fils avant d’avoir rencontré celle qui doit être son épouse. Au prix de cette audacieuse rupture de la suite chronologique, l’épisode de la circoncision se trouve reporté en face du tableau qui commence aujourd’hui la série évangélique : c’est le baptême dans le Jourdain, qui fut, dit saint Paul, la circoncision du Sauveur. En même temps, le passage de Moïse à travers le désert, où il reçoit de Dieu sa mission, s’oppose exactement à la seconde scène de l’histoire du Christ : la tentation dans le désert.

Dans ce dernier tableau, le récit évangélique se trouve relégué au fond de la composition, parmi le paysage et les architectures. Le groupe du Christ et du démon, réduit par l’éloignement, saute d’un rocher abrupt sur le toit d’une église qui figure le Temple, et de là sur le bord d’un autre rocher. Le premier plan, sur le sol uni, est laissé à une assemblée confuse, réunie autour d’un autel et d’un prêtre hébreu. Les accessoires que portent quelques-uns des personnages montrent que le prêtre et les assistans célèbrent le sacrifice d’actions de grâces, prescrit par la loi de Moïse pour la guérison d’un lépreux. La présence de la cérémonie biblique devant l’église au sommet de laquelle le Prince du Monde tente le Fils de Dieu, ne peut être justifiée par les jeux alternés du symbolisme scolastique. Cette composition touffue reste un problème dont la solution ne se trouvera ni dans la Bible, ni dans l’Evangile, Mais, à elle seule, l’introduction d’une page rituelle du Lévitique au milieu même