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« Alors il me dit :

« — L’aveuglement, l’inclination, je vous l’accorde. Mais, je ne vous accorde point qu’il nous fasse faire sa volonté. Si nous le suivions, nous mettrions le feu aux quatre coins de l’Europe. Je vous engage ma parole que cela ne sera point... »

Quelques mois plus tard, c’est de nouveau lord Aberdeen qui fait les frais de ses lettres : « Il s’est établi un fort grand rapprochement entre lord Aberdeen et moi. Il me livre le plus naïvement du monde toutes ses pensées ; elles sont mesquines, poltronnes, enfin aussi parfaitement conformes à nos intérêts qu’il nous serait possible de les désirer. Il ne fait pas la politique de son Cabinet ; mais, comme il a peu d’idées à lui, il est évident qu’il ne s’exprime jamais que selon l’ordre du jour. »

Lorsqu’on octobre 1829, la paix est signée entre les Turcs et les Russes, c’est dans la personne de lord Aberdeen que la vindicative ambassadrice triomphe du Cabinet britannique et jouit de son dépit.

« Je ne sais rien concevoir de plus charmant que les propos que me tient lord Aberdeen accompagnés de son visage de tragédie.

« — Eh bien ! votre gloire est complète ; la Russie domine aujourd’hui l’univers ; avec votre langage modeste vous exercez aujourd’hui une omnipotence entière et nous avons l’air d’être vos dupes ; nous sommes abaissés, avilis !

« — Mylord, tant pis pour vous. Mais, nous ne vous avons pas dupés ; vous vous êtes dupés vous-mêmes. Vos propres illusions ou celles que vous inspirait votre patron, le prince Metternich, voilà vos vrais ennemis !

« Au bout de ces doléances, il accouche de la nécessité d’être intimement uni à la Russie ; il ne trouve que dans cette combinaison des garanties de paix et de tranquillité pour l’univers.

« — Dieu merci, Mylord, que vous reconnaissiez une vérité que nous n’avons cessé de sentir et de vous dire. Mais, pour qu’elle ait une juste application, il faut que vous en agissiez franchement, loyalement avec mon empereur, comme il l’a toujours fait avec vous et voilà le hic. »

Ainsi la princesse est implacable envers quiconque ne professe pas une opinion pareille à la sienne et ne se prodigue pas pour servir ses desseins. Il n’est qu’un moyen de la fléchir, c’est de lui rendre les armes et de reconnaître la légitimité de la