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plus en plus à sa vie nouvelle si différente de ce qu’a été sa vie passée, semble y prendre plaisir et se prodigue pour inspirer confiance au jeune prince :

«... Le grand-duc est venu deux fois chez moi depuis ma dernière lettre. Chaque séance devient plus facile. Je suis toute aise de pouvoir dire sans flatterie que c’est le plus délicieux jeune homme que j’aie jamais rencontré. Imaginez, passer à seize ans, deux heures et demie auprès d’une vieille femme et de personnages graves, causer avec eux, ou bien les écouter avec intérêt, sans bâiller ; ne jamais dire un mot mal à propos ; toujours à la chose, sans distraction, je vous assure que c’est surprenant. Hier le hasard nous a fourni Blondoff et Michel Woronzoff. Nous ramassons un extraordinaire quand il s’en rencontre de convenables. Du reste nous vivons sur notre propre fonds qui n’est pas considérable ; mais cela va.

« Aujourd’hui j’ai l’honneur de recevoir Madame la grande-duchesse Olga. Sa gouvernante m’a dit que l’ordre de l’Impératrice était que je vinsse au palais Alexandre, si mon appartement était trop petit, et comme il nous faut un peu de gaieté et pour cela de l’espace, c’est dans les salons de l’Impératrice que nous essaierons de faire aller ce soir quelques jeunes jambes... C’est drôle quand je me rappelle la vie passée. La haute politique est aujourd’hui bien loin de moi.

« Notre jeune grand-duc est charmant, ce qui lui manque n’appartient pas encore à son âge et rarement à sa position. Il faut qu’il connaisse le monde : ce mot renferme toute chose. Insensiblement il arrivera à cela. Nous allons bien ; tout a pris une tournure réglée et d’habitude. » — « Je ne manque pas un jour de faire ma cour à Mesdames les grandes-duchesses et je me permets d’aller voir souvent les petits grands-ducs. Vraiment c’est une famille délicieuse ; ils font plaisir à regarder et à suivre ; cela rafraîchit le cœur. Le temps est bien froid ; les défections sont quotidiennes ; il ne restera bientôt plus que nous et les corbeaux.

« Je crois que. pour me faire fête, notre climat me montrera ce qu’il sait faire dans tous les genres, et qu’il fera froid cet hiver dans les mêmes proportions qu’il a fait chaud cet été. Ah ! mon Dieu, que deviendrai-je au milieu de tout cela ! En attendant, pour n’y pas succomber tout de suite, je m’en vas passer demain la journée en ville. » — « Tous les jours me semblent amener du mieux dans mes relations avec le grand-duc. Je vous assure que