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sentiment était bien naturel de leur part ; mais, pour y donner satisfaction, on devait aller devant les tribunaux. Ils en avaient pris leur parti. Le 2 décembre 1902, M. le Garde des Sceaux disait au Sénat : « C’est précisément ce droit de recourir à la force dont le gouvernement offre l’abandon, et il vient vous demander de substituer des sanctions judiciaires aux sanctions administratives. Le projet de loi qui vous est soumis n’a pas d’autre but. » Il faut donc croire, avec la Ligue de la liberté de l’enseignement, que l’ère des exécutions administratives est close. Le gouvernement conserve sans doute le droit d’adresser aux congréganistes qu’il estime avoir formé ou reformé un établissement illégal, d’avoir à se disperser ; mais, s’ils résistent, ses agens de l’ordre administratif ne peuvent que le constater par un procès-verbal, qu’ils transmettent au procureur de la République. Autrefois, avant la loi du 4 décembre 1902, la résistance était brisée par la force, mais elle n’était par elle-même passible d’aucune peine : aujourd’hui, elle est passible d’une peine, mais elle ne peut plus être brisée par la force. Un jugement est nécessaire, et jusqu’à ce qu’il soit devenu définitif, les choses restent en l’état. Quelle est donc la question que les tribunaux auront à résoudre ? C’est celle de savoir si les congréganistes visés par le gouvernement ont, oui ou non, formé un établissement de la congrégation. Personne ne saurait dire au juste ce que c’est qu’un établissement de la congrégation. La loi ne le dit pas, elle ne donne aucune définition de l’établissement, laissant à la jurisprudence le soin de faire ce qu’elle n’a pas fait elle-même. Eh bien ! que la jurisprudence prononce ! C’est le vœu de la Ligue de la liberté de l’enseignement : ce devrait être celui de tout le monde.

On connaît la prétention du gouvernement à ce sujet : pour former un établissement de la congrégation, il suffit d’un seul congréganiste, et celui-ci forme cet établissement partout où il se trouve et dans quelques conditions qu’il opère. Cette interprétation de la loi heurte le bon sens le plus élémentaire, mais le gouvernement ne s’en inquiète guère, et il enjoint à tous les congréganistes qui ne sont pas au siège de la congrégation, de le rejoindre aussitôt. En vain lui répond-on que les maisons-mères ne sont pas assez vastes pour contenir tous les congréganistes, et qu’il y a là une impossibilité matérielle ; il ne veut rien entendre. Il a posé une règle sans se préoccuper de savoir si elle est exécutable ; tout le monde doit s’y plier. On voit par là combien il est indispensable de définir l’établissement, et c’est ce que les tribunaux seuls peuvent faire aujourd’hui La Ligue de la liberté de l’enseignement a sa définition à elle, dont nous faisons