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la presse plus indiscrète qu’aujourd’hui ; et cependant nos entrevues sont bien légitimes, et je dirai patriotiques, puisque vous et moi nous servons notre pays de notre mieux. Je ne puis vous garantir que ces méchans témoins ne vous saisiront pas au passage, mais vous serez reçu à l’heure indiquée, et on saura le moins possible cette nouvelle entrevue.


Encore si les gestes seuls eussent été singuliers, mais le langage, et, ce qui était plus grave, le style, le style même des dépêches à Bismarck, ne l’était pas moins ! Tantôt c’était sur la santé de M. Thiers que le comte d’Arnim avait des inquiétudes, et naturellement, si M. Thiers venait à manquer, la France même tombait de la défaite dans l’anarchie et de l’anarchie dans la faillite ! Tantôt, quand il était contraint de constater que le visage du Président était satisfaisant, que ses forces étaient rétablies, c’était alors la solidité de sa situation constitutionnelle qu’il déclarait plus que douteuse. M. Thiers se fait illusion, il est trop optimiste en ce qui touche ses rapports avec la Chambre et sa confiance dans une issue satisfaisante des difficultés. Il ne peut, quant à lui, d’Arnim, partager cette confiance, ni la faire partager à son Gouvernement. Il sait, en effet, par quelques députés qui lui font l’honneur de causer avec lui, que les esprits sont très montés et qu’il n’y a aucune tendance à la conciliation ; il craint plus que jamais qu’une crise ne soit prochaine. L’état du Midi de la France n’est-il pas alarmant ? Les conservateurs n’ont-ils pas intérêt à voir se prolonger l’occupation allemande, qui garantit l’ordre, puisque, si elle cessait, la Chambre devrait se dissoudre et que des élections radicales seraient à redouter ? Dans ces conditions, comment conseillerait-il à Berlin d’accueillir une évacuation immédiate et totale contre une anticipation de paiemens ? Soit : il a pleine confiance dans la sincérité du Présisident, mais il se défie du pays ; il le croit animé d’une soif ardente de guerre et de vengeance ; toutes ses informations le lui disent, et il estime que l’Allemagne ne doit pas renoncer au gage territorial qu’elle détient.

A plusieurs reprises, Harry d’Arnim se laisse aller à parler, même à des Français, de la politique française, et il en parle toujours de la même façon, toujours en mal. Pour le présent, passe encore, mais l’avenir est bien sombre, et un avenir assuré. La France marche au radicalisme, à la Révolution, à la Commune. M. Thiers leur oppose une digue, mais une digue brise le flot et l’arrête, elle n’en supprime pas le retour et ne tarit pas la