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nécessaire en un moment où la France devait être surexcitée pour trouver en elle-même le courage de réagir contre ses revers. Toutefois, comme il était urgent avant tout de constituer un gouvernement, de former des armées, et d’agir aussitôt que possible sur les dispositions de l’Europe, M. de Chaudordy, indifférent d’ailleurs aux manifestations de la rue, se mit sur-le-champ à l’œuvre, pour ce qui concernait sa mission, et adressa à nos agens une circulaire où il leur exposait la situation avec une éloquence émue et leur suggérait, sous la forme ostensible, le langage le plus propre à éveiller la sollicitude des Cours et à les intéresser à notre cause. Il commençait ainsi sa rude campagne avec cette énergie qui ne l’a jamais abandonné ; mais, au point de vue général, il ne se dissimulait pas combien l’insuffisance manifeste de MM. Crémieux et Glais-Bizoin et, par suite, du gouvernement de Tours, nuisait à la défense nationale et en particulier à notre influence diplomatique. Il avait besoin d’être soutenu par une autorité forte, et ne la rencontrait nulle part : officiellement subordonné à ces comparses, il devait soumettre à leur incompétence les affaires qu’il avait à mener, et il sentait la difficulté de faire prendre au sérieux leur débile gouvernement. Puis, il perdait son temps à les instruire : aucun d’eux n’était malveillant, loin de là ; mais il lui fallait leur placer sous les yeux et leur expliquer longuement les documens de la correspondance, et, sans que son indépendance fût en péril, elle ne laissait pas d’être gênée par leur ignorance un peu méticuleuse. M. Crémieux surtout, comme la plupart des parlementaires, avait la prétention abusive de se mêler de diplomatie : on contait même que sa femme entendait lire les dépêches, sous prétexte que l’Impératrice autrefois en prenait connaissance. Quoi qu’il en fût de ce propos, il est certain que le délégué se trouvait embarrassé par l’intervention, régulière après tout, mais inutile, d’un ministre inexpérimenté dont il n’avait à attendre aucun secours, et aussi par le caractère effacé et l’inertie d’un pouvoir que la France et l’Europe regardaient, à tort ou à raison, avec une défiance voisine de l’ironie.

L’arrivée soudaine de M. Gambetta, que le gouvernement de Paris envoyait enfin prendre en main la direction suprême qui échappait à ses collègues, mit un terme à ces tâtonnemens d’une administration désemparée. Je n’ai pas à redire l’impression profonde que produisit à Tours et dans tout le pays ce fait inattendu :