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responsabilité qui retomberait sur les neutres, » désapprouvait « la politique d’abstention absolue » adoptée par la Russie, et se prononçait même « pour un effort collectif en faveur du rétablissement de la paix. » L’Italie, décidée, il est vrai, à ne point nous accorder cet appui militaire que M. de Chaudordy, sans grande illusion, persistait à réclamer d’elle, était évidemment toute prête à nous donner son concours diplomatique et à nous servir, dans cette mesure, sans se compromettre. Ces dispositions, fortifiées par les tendances générales de l’opinion publique, s’accentuaient si bien que M. de Bismarck s’en montrait extrêmement ému ; lui-même, dans ses Mémoires, en fait l’aveu : « Une telle intervention, dit-il, ne pouvait être faite que dans l’intention de nous rogner le prix de nos victoires au moyen d’un Congrès... Ce danger m’inquiétait jour et nuit... Plus la lutte durait, plus il fallait compter avec cette éventualité. »

Les négociations entamées par M. de Chaudordy se produisaient donc au moment favorable : il pressentait les soucis du Chancelier, et, d’autre part, ses entretiens continuels avec les ambassadeurs aussi bien que les rapports de nos agens lui faisaient connaître les sentimens des neutres. Aussi apportait-il une ardeur infatigable à multiplier les communications écrites, télégraphiques et verbales, destinées à encourager les bonnes volontés hésitantes, à combattre l’influence de M. de Bismarck ; il mettait en relief les ressources de la Défense, « la confiance du pays qui n’est pas ébranlée, même après les désastres qu’il a subis ; » il montrait en même temps l’opportunité des démarches conciliantes et pacifiques qu’il réclamait de l’Europe, et rappelait combien la France méritait d’être au moins moralement aidée dans la lutte héroïque qu’elle soutenait « non seulement pour l’intégrité de son territoire, mais aussi pour le maintien de l’équilibre général. »

Il est certain que, si nous eussions alors été entendus, que, si cette Europe, que M. de Bismarck disait ironiquement « introuvable, » s’était retrouvée pour exercer cette autorité à laquelle, après tout, nul victorieux ne peut se soustraire complètement, l’action des Puissances eût été honorable et utile pour tous et de haute portée pour l’avenir. En l’invoquant avec autant de dignité que de persévérance, la Délégation servait les intérêts communs aussi bien que les nôtres, La plupart des Cabinets en jugeaient comme nous, car c’était l’évidence même. Mais ils subissaient