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la fascination du succès, et l’habile diplomatie du Chancelier entretenait le trouble et l’indécision de leur esprit. Il y eut assurément dans les délibérations intimes des Cours un moment où nos espérances avaient chance de se réaliser ; toutefois, trop de doutes subsistaient dans leurs pensées pour que cette impression se traduisît par une attitude vigoureuse et précise, qui seule eût été efficace. Elles en vinrent à l’inévitable issue d’une politique vacillante, qui craint à la fois les compromissions et l’inertie, c’est-à-dire à un moyen terme. L’Angleterre prit l’initiative d’une proposition d’armistice, qui eût été excellente si elle eût été bien caractérisée, mais qu’elle mit en avant avec tant de réticences, et sous une forme si vague qu’elle était plutôt le point de départ d’une complication nouvelle qu’un acte diplomatique accentué.

En fait, lord Granville ne nous offrait pas d’intervenir auprès de l’Allemagne : il se bornait à nous « conseiller de nous accorder avec elle pour un armistice qui amènerait la convocation d’une Assemblée nationale. » Il est vrai qu’il nous promettait de communiquer ultérieurement au Chancelier un avis favorable, mais en ajoutant que cet avis n’impliquerait aucun appui éventuel pour les négociations relatives, soit à l’armistice, soit à la conclusion de la paix. Il ne s’agissait donc que d’un projet de pourparlers à ouvrir par nous avec l’Allemagne, et l’Angleterre n’avait même pas préparé le terrain : nous ignorions ce que pourraient être la forme et la durée de cet armistice, et surtout, — ce qui nous intéressait en première ligne, — si, pendant l’interruption des hostilités, Paris serait ravitaillé.

Ce fut dans cet état que la question fut présentée à l’examen du gouvernement de Tours. La suggestion anglaise ne répondait guère à notre attente. M. Gambetta l’envisageait avec une légitime défiance. Mais M. de Chaudordy, tout en reconnaissant que nous ne saurions conclure qu’un armistice général, d’au moins vingt-cinq jours et accompagné, pour la capitale, d’un ravitaillement proportionnel à sa durée, considérait que, sans se départir de ces conditions majeures, il y avait lieu de faire preuve de bonne volonté et d’entamer des négociations. A ses yeux, et si incomplète que fût la proposition de lord Granville, nous risquions, en la refusant, de décourager les neutres et de leur fournir un spécieux prétexte de s’abstenir. Son opinion prévalut, et M. Thiers fut chargé de se rendre à Paris, muni d’un