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cet avis, estimant que, la conclusion d’une paix honorable étant très incertaine, il ne lui était pas permis de consentir une suspension d’armes pendant laquelle Paris eût épuisé ses vivres : il était clair, en effet, qu’à l’issue de l’armistice, la capitale, loin de se retrouver, conformément aux principes internationaux, dans la même situation qu’à l’origine, aurait, au contraire, considérablement diminué ses ressources et se trouverait, pour ainsi dire, à la merci du vainqueur. M. de Chaudordy, qui partageait entièrement à cet égard l’opinion de M. Jules Favre et de ses collègues, a exposé, dans une circulaire qui est l’un des actes considérables de sa gestion, les motifs supérieurs dont s’est inspiré notre gouvernement et qui ont été alors approuvés par la France entière. Il démontrait que le maintien intégral des situations respectives est la base logique et traditionnelle d’un armistice, et que le ravitaillement proportionnel était la conséquence indéniable de ce principe de droit : autrement, disait-il avec raison, « plus l’armistice serait long, plus il serait funeste à l’assiégé, » qui reprendrait la lutte dans des conditions plus défavorables que jamais. Quant aux élections, comment seraient-elles libres et sérieuses, pendant que chaque jour écoulé modifiait à notre préjudice l’état de choses dont les électeurs étaient les juges ? Et comment aussi poursuivre des négociations au cours d’une trêve à la fois ruineuse pour nous et fortifiante pour l’ennemi ? N’était-ce pas livrer d’avance et sans combat le pays à une conclusion funeste que la stérile consommation des vivres nous rendait inévitable ? Et, au moment où la capitale et les armées de province redoublaient de courage pour prévenir un traité désastreux, devions-nous consentir à l’affaiblissement progressif de nos ressources déjà si restreintes et placer ainsi l’Assemblée future dans la cruelle nécessité de tout céder à l’expiration de l’armistice ? Telles étaient en substance les idées développées par M. de Chaudordy pour justifier la décision prise à l’Hôtel de Ville. Sans doute les événemens nous ont amenés à subir les conditions que nous repoussions alors, mais le gouvernement, formé exclusivement pour la défense et soutenu par la nation, avait le devoir de ne point énerver la résistance en acceptant une suspension d’armes qui eût diminué nos forces et compromis nos dernières espérances.

Les neutres avaient évidemment compris les motifs de notre décision aussi bien que ceux dont s’inspirait notre adversaire, et