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avec M. Okouneff les droits conventionnels consacrés par le traité de Paris, et à lui dire que nous devions, avant de lui répondre, nous concerter avec les autres Cabinets signataires et qu’il en référerait à son gouvernement.

Cette grosse affaire resta en suspens durant quelques semaines. Les Puissances se consultaient, suivant leur habitude, avec une certaine lenteur, et nous laissions volontiers dans l’ombre une question que nous n’étions pas alors en mesure de débattre librement. Mais il fallait cependant prendre un parti. La Russie, une fois le coup porté, désirait presser la solution et user des avantages que lui donnaient notre épuisement et les autres préoccupations de l’Europe ; l’Angleterre, qui avait envoyé au quartier général allemand, à Versailles, lord Odo Russell pour inquiéter le Chancelier sur les dispositions du Foreign Office, attendait avec impatience que celui-ci lui fournît le prétexte ou les moyens d’une résignation dont il lui était pénible de faire spontanément l’aveu. M. de Bismarck, qui jugeait l’ajournement impossible, mais qui ne voulait se prononcer personnellement dans un sens ni dans l’autre, désirant ne déplaire ni à Londres ni à Pétersbourg pour maintenir notre isolement, prit alors, peu de temps après notre arrivée à Bordeaux, une résolution qui le tirait d’embarras sans doute, qui en effet était la seule correcte, mais qui ne laissait pas d’être, de sa part, fort inattendue. Il proposa à lord Odo Russell la réunion d’une Conférence spéciale pour l’examen de la déclaration russe.

Au moment où il repoussait avec tant de dédain le projet de soumettre la situation générale à un Congrès, il semblait assez étrange qu’il conviât lui-même les Cabinets à une délibération internationale quelconque dont le développement pouvait dépasser l’objet officiel. Mais, la solution de l’affaire russe étant urgente, il n’y avait en réalité d’autre issue régulière que la consultation des États signataires du traité de Paris qu’il s’agissait de modifier. D’autre part, le Chancelier, en remettant l’affaire entre les mains de l’Europe, échappait aux instances des Cours de Londres et de Pétersbourg, qu’il lui importait également de ménager. Enfin, à la veille de dicter à la France des conditions écrasantes, il profitait volontiers de l’occasion qui lui était offerte de détourner de nous l’attention des neutres en la fixant sur un intérêt oriental pour lui très secondaire, et d’occuper leur activité en leur donnant de plus, à peu de frais, un témoignage de déférence. Il n’était