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M. de Chaudordy, sans méconnaître que les circonstances étaient différentes et que le Chancelier nous opposerait sans aucun doute des difficultés redoutables, se prononçait résolument en faveur de cette tentative. Il la recommanda au gouvernement de Bordeaux et proposa M. Jules Favre comme plénipotentiaire : « On ne saurait douter, me disait-il dans nos entretiens intimes, de l’impression profonde que susciterait dans la Conférence l’arrivée du vice-président de la Défense nationale, sortant de la capitale bombardée et concentrant en lui les angoisses et l’héroïsme de ce grand Paris affamé et meurtri. Il était inadmissible que, sous la forme persuasive ou violente, son éloquence ne fût pas plus forte que le programme. » Au surplus, si le Délégué préférait M. Jules Favre à tout autre plénipotentiaire, comme exprimant mieux les anxiétés et les souffrances de la patrie, il ne s’attachait pas exclusivement à ce choix, dont l’opportunité était discutable, eu égard à l’inexpérience diplomatique du ministre, aux défiances qu’il pouvait inspirer d’avance à M. de Bismarck, et, par suite, à l’ombrageuse correction des Cours, à l’éventualité de son refus, à la nécessité d’obtenir un sauf-conduit et aux lenteurs fâcheuses qu’on devait craindre. Il avait donc aussi, à tout risque, mis en avant le nom de M. Thiers, et même celui de M. Guizot, si imprévue que pût paraître l’idée de rappeler sur la scène, après vingt-deux ans de retraite, un serviteur octogénaire de la monarchie. Cette vague suggestion n’avait évidemment aucune chance d’être accueillie, et quant à M. Thiers, notoirement contraire à la politique belliqueuse de Paris et de Bordeaux, n’eût certes pas accepté une telle mission si le Gouvernement eût été disposé à la lui offrir M, de Chaudordy n’ignorait pas, disons-le en passant, que lui-même semblait à beaucoup de gens désigné pour la Conférence ; mais il ne croyait pas que son autorité personnelle fût assez grande, et de plus il pensait être plus utile en restant à son poste pour y seconder l’action éventuelle de notre plénipotentiaire à Londres. Il en revenait donc, après mûres réflexions, à insister sur le choix du ministre des Affaires étrangères, qui semblait désigné de droit, par ses fonctions mêmes. Il eût mieux aimé sans doute un négociateur plus sûr ; mais il se persuadait que les brillantes qualités de l’orateur, sa haute situation politique, les épreuves que celui-ci avait traversées dans la capitale assiégée, donneraient à son langage une valeur exceptionnelle, préférable, pour