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l’objet qu’on avait en vue, à une diplomatie plus savante. Le Gouvernement de Bordeaux, d’accord avec lui, décida en conséquence la nomination de M. Jules Favre, et, en faisant part de son sentiment à ses collègues de l’Hôtel de Ville dont l’adhésion était nécessaire, leur indiqua l’urgence de réclamer pour notre envoyé le sauf-conduit du Cabinet allemand.

Ce message, bien qu’il eût été retardé par la difficulté des communications et quelques incidens assez suspects, parvint cependant à Paris en temps utile ; mais il rencontra chez le ministre des Affaires étrangères des dispositions très incertaines. Soit par un honorable scrupule de patriotisme, soit par crainte des commentaires malveillans dont sa popularité eût souffert, celui-ci montra beaucoup de répugnance à quitter la capitale en péril. De sorte que ses collègues, troublés par ses hésitations, et les attribuant peut-être à des doutes sur les avantages réels de sa présence à Londres, ne crurent pas devoir se prononcer d’une façon péremptoire, et, tout en acceptant en principe l’invitation à la Conférence et le nom du ministre, furent d’avis, pour tout concilier, d’ajourner son départ jusqu’à la fin du bombardement. C’était la plus mauvaise des combinaisons : elle compromettait tout le plan de Bordeaux en nous faisant perdre l’occasion, illusoire peut-être, mais enfin possible, de susciter dans la Conférence un mouvement d’opinion dont nous eussions pu nous prévaloir plus tard. De plus, en ce qui concernait le traité de Paris, nous étions acculés ultérieurement, soit à souscrire à la décision des plénipotentiaires sans l’avoir discutée, soit à blesser l’Europe par une protestation tardive et stérile.

Nous espérions cependant encore que la réponse de l’Hôtel de Ville n’était pas définitive, qu’après quelques lenteurs M. Jules Favre, comprenant mieux l’intérêt de la mission qu’il était appelé à remplir, se rendrait à nos instances et, sachant que la Conférence allait se réunir, hâterait enfin son départ, lorsque tout à coup lui-même, par la plus fausse démarche, au moment où il semblait avoir modifié son impression première et se disposer à quitter Paris, fit échouer ce projet et se ferma la route de Londres. Entraîné par le désir d’expliquer sa conduite à l’opinion publique, il crut devoir écrire à nos agens à l’étranger une circulaire ostensible, non moins imprudente qu’indiscrète. D’abord, par un singulier abus d’interprétation oratoire, il présentait l’invitation de participer à la Conférence comme un