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pas bonapartiste. Ainsi, pour ce qui vous concerne, tout va bien, et quant à moi, qui suis un vieux philosophe soucieux uniquement des allaires de l’État, je suis charmé du succès de votre personne, blanche ou bleue...

Votre langage importe surtout à Berlin, et, dans votre bouche, si sincère, si honnête, il fera grand effet. Répétez que nous voulons la paix, et que nous la voulons résolument et durablement ; et, dans l’occasion, ne manquez pas de dire que nous en donnons la preuve en payant exactement nos dettes, et même en voulant anticiper. Si l’on recherche le sens de ce mot, faites entendre, sans soulever prématurément la question, que, le mois de mai passé, et nos 650 millions payés, nous n’entendons pas attendre l’année 1874 pour entamer les trois milliards. C’est bien la preuve que nous ne voulons pas bénéficier du hasard toujours si grand des événemens. C’est bien la preuve que nous ne songeons pas à nous acquitter par la guerre. Je vous parle en honnête homme, et si je voulais autre chose, je me tairais au moins, si je ne le disais pas. Le pays pense comme moi, et, s’il se montre irrité, ce n’est pas grand miracle après avoir été si peu ménagé territorialement et financièrement. Mais il ne veut pas jouer son existence à croix ou pile, et quant à moi, tout examiné, en laissant à l’avenir ce qui lui appartient, j’aime mieux payer que combattre. La France vaut mieux que trois milliards, et je ne la jouerai pas pour pareille somme.

Si l’on vous sondait sur ce sujet, dites qu’au mois de mai, plus tôt toutefois si on le désirait, nous écouterions, en mettant dans un plateau de la balance l’évacuation, et dans l’autre une anticipation. Nous ne pouvons pas mieux prouver que nous voulons la liquidation par la paix, non par la guerre. Si l’on vous parlait de nos armemens, en faisant bien entendre que, sous ce rapport, nous ne reconnaissons à personne le droit de nous interroger, vous diriez, ce qui est la vérité pure, qu’ils n’ont que l’avenir, et l’avenir seul en vue. Nous ne voulons pas, comme l’Empire, être entreprenans et faibles, mais tranquilles et forts. On ne peut pas prétendre que nous laissions la France désorganisée, telle que nous l’a laissée l’Empire.

D’ailleurs, nous ne faisons que ce que fait tout le monde. Ne cherche-t-on pas partout, même en Prusse, qui est si forte, quel est le meilleur canon, le meilleur fusil, le meilleur système de recrutement ? Nous sera-t-il défendu, à nous seuls, de vouloir nous donner la meilleure organisation possible ? Et, en repoussant le service obligatoire, est-ce que je ne donne pas la preuve que je ne veux pas agiter la nation, et lui faire tourner la tête au son du tambour et de la trompette ? Je veux une armée de métier, solide, sagement limitée, aussi forte contre le désordre que contre les ennemis que la France pourrait rencontrer. Mais cela même est cher et m’oblige à demander beaucoup d’argent. Du reste, évitez ce sujet et laissez voir qu’à ce sujet on voudrait en vain nous entamer ; mais jurez en homme d’honneur que rien de ce que nous faisons ne dépasse l’indispensable et n’a en vue le présent. Je ne vous ferais pas plus mentir que je ne voudrais mentir moi-même.

Au surplus, les nouvelles qui nous viennent des grandes cours sont excellentes, et si vous étiez ici, je pourrais vous en donner des preuves qui vous frapperaient. Mais il ne faut pas nous vanter, ce qui est non seulement immodeste mais malhabile ; il suffit de tenir compte de ces renseignemens pour avoir en votre situation la confiance qu’elle mérite d’inspirer.