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que M. de Gontaut, — diplomate de carrière, esprit méthodique, précis, laborieux, le représente fidèlement et dignement :


Répétez bien à M. de Manteuffel que nous voulons la paix, que nous en donnons deux preuves bien décisives : la première, c’est de nous tant presser de payer les deux premiers milliards ; et, ce qui est plus démonstratif, de nous préparer à anticiper le paiement des trois derniers. Si nous aimions mieux liquider par la guerre que par la paix, nous profiterions du traité qui nous donne jusqu’à 1874 pour payer la seconde partie de l’indemnité, et nous nous réserverions ainsi le bénéfice des événemens.


Comme M. de Manteuffel est militaire, c’est sur les affaires militaires surtout que M. de Saint-Vallier est chargé d’insister :


Quant à nos armemens, dites bien qu’ils ont en vue non le présent, mais l’avenir seul, un avenir durable, et qui ne dépasse en rien l’état auquel la France a le droit de prétendre. J’ai limité ma tâche politique à ce que j’ai appelé la réorganisation de la France, et j’y ai fait entrer la paix d’abord, le rétablissement de l’ordre, l’équilibre des finances et la reconstitution de l’armée détruite par la sottise de l’Empire. Voilà ma tâche avouée, avouable, et je ne puis pas évidemment la laisser incomplète, sans ôter à ma gestion ses vrais, ses solides motifs. Si là-dessous il y avait une arrière-pensée, nous garderions nos trois derniers milliards, et il y aurait bien là de quoi faire de formidables armemens. Quant à nos chiffres, les voici. Je ne veux pas du service obligatoire, qui mettrait toutes les têtes en combustion et mettrait un fusil à l’épaule de tous les socialistes ; je veux une armée de métier, ferme, disciplinée, capable de nous faire respecter au dehors et au dedans, très limitée en nombre, mais supérieure en qualité. Ce système est plus défensif qu’offensif, et personne n’a rien à y objecter. Quant au chiffre de dépenses et de contingens dont on nous a parlé, voici la vérité rigoureuse. On a toujours demandé en France de séparer les non-valeurs (c’est-à-dire la gendarmerie, les états-majors, les punitionnaires) de l’armée vraiment active. Ces non-valeurs, militairement parlant, se sont accrues cette année par le doublement des troupes spéciales qui gardent Paris (garde municipale et sergens de ville), par le doublement de la gendarmerie, dans les provinces, ce qui a entraîné un considérable accroissement de dépense et d’effectif. Notre effectif total arrive ainsi à 460 000 hommes, sur le pied de paix, donnant un chiffre net de 400 000, net pour l’armée active, l’Afrique comprise.

C’est à peu près le chiffre normal que nous avons toujours demandé dans tous les temps, et qui n’a rien d’excessif. L’Empire avait voulu y ajouter douze cent mille mobiles, pour imiter la Prusse, que je ne veux pas imiter, quelque imitable qu’elle soit, mais pas pour nous, qui avons d’autres mœurs et un caractère indocile qu’on ne peut dompter que par la discipline des armées de métier. Quant aux cent quarante-cinq régimens d’infanterie, cela est vrai ; mais nous avions à remplacer la garde impériale supprimée, et, en y ajoutant les chasseurs à pied, compris dans cent