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mais pourtant je veux bien le faire et vous prier même de lui pardonner ses fautes à votre égard, de lui permettre encore d’être auprès de vous et de le recevoir favorablement, ne doutant point qu’il ne fasse son devoir pour l’avenir sous un tel maître et qu’il n’y apprenne à se conduire mieux qu’il n’a fait. » Le soulagement des amis de la duchesse de Portsmouth fut grand. Elle même n’en éprouva guère moins. Elle n’avait pas trop tardé à juger à sa valeur le triste personnage auquel elle avait eu la folie de se livrer. Tout son dessein était de tirer « de grands avantages et une grande considération de sa liaison. » Après son départ, la crainte demeurait à la favorite qu’il ne montrât ses lettres et ne la déshonorât par quelque scandale public.

Ce fut Louis XIV en personne qui lui vint en aide. Disgracié en France, le grand prieur s’était réfugié en Hollande. Afin qu’il n’eût plus de prétexte pour retourner en Angleterre et aussi pour être en mesure, le cas échéant, de mettre la main sur lui, Louis XIV lui fit dire par son frère le duc de Vendôme qu’il pouvait reparaître à la cour. « Vous ferez entendre à Madame la duchesse de Portsmouth, écrivait le roi à Barillon, que non seulement j’ai ordonné à Croissy de déclarer au grand prieur, aussitôt qu’il sera arrivé, que s’il lui échappe de dire quelque chose au désavantage de ladite duchesse, il s’attirera mon ressentiment, mais que je m’en suis aussi expliqué de même au duc de Vendôme, en sorte que j’ai lieu de croire qu’il n’arrivera rien qui puisse donner de déplaisir à cette dame. » La volonté du roi était si nette que le grand prieur garda toujours un silence prudent sur son aventure. Elle demeura tellement ignorée que le duc d’Orléans, qui en avait ouï parler, croyait qu’elle concernait non la fameuse duchesse, « mais l’une des petites maîtresses de Charles IL »

Mais Madame de Portsmouth conserva longtemps une appréhension du mal que pouvait lui faire son lamentable amant ; elle s’accrut quand on apprit que le grand prieur demeurait à La Haye et parlait toujours de revenir à Londres. Le roi lui envoya un ordre formel de reparaître à Versailles. « Je ne doute point qu’il n’obéisse au plus tôt, fit-il dire à la duchesse. Néanmoins si, contre mon opinion, il voulait aller à Londres, le roi d’Angleterre peut user de son autorité et le faire arrêter, en sorte que la duchesse de Portsmouth n’en puisse recevoir aucun déplaisir. »