Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/419

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de leurs incantations. Nous les entendons prononcer les berbos, les paroles magiques qui font tomber les vers des plaies du bétail, qui le défendent des aigles et des vautours, qui empêchent les chiens d’aboyer et les fusils de partir. Et les naïfs prestiges de cette magie rustique prennent, dans la paix splendide de la nature, une bizarre dignité, comme si ces bergers ignorans, tremblans et graves, étaient bien les officians qui conviennent au mystère des choses.

. « La nuit était à peine tombée. La lune nouvelle montait derrière les lauriers-roses, l’eau de la rivière avait de longues stries d’argent pâle, et le ciel était pur comme l’eau... Les vaches, rousses pour la plupart, noires du côté que la lune n’éclairait pas, léchaient leurs plaies, la queue battant nerveusement. Zio Félix ôta son bonnet, se déchaussa, se signa trois fois. De la main droite, entre le ponce et l’index, il tenait un couteau en forme de faucille. Sur sa poitrine, au-dessous du caban, pendait le paquet des saintes reliques, retenu à son cou par un cordon graisseux. Il semblait inspiré. Quand il levait son visage vers la lune, ses lunettes brillaient, comme deux énormes yeux de jais. Il murmurait les berbos, les paroles mystérieuses, les bras tendus, la face haute. Invoquait-il la puissance de la lune, des astres, des ténèbres ? l’esprit des eaux, les divinités de l’air ? Il invoquait quelque chose, mais Antine n’arrivait pas à comprendre les paroles occultes. Tout à coup, Zio Félix recula de trois pas, tendit les bras en arrière, et se courba à la renverse. Avec sa petite faucille il coupa trois tiges de jonc, puis ramena les bras en avant, se releva, et marcha vers la rivière, toujours murmurant les paroles mystérieuses... »

Mais la perle des Tentazioni n’est peut-être pas cette nouvelle si riche de singularités pittoresques, si vigoureusement empreinte de couleur locale. A mon gré, il y a une manière plus exquise, plus unique, dans le premier récit du volume, I Marvu. C’est une scène de famille, une scène de tous les jours, d’un naturel minutieux, d’une très amusante simplicité ; — la copie exacte, la sténographie, pourrait-on dire, et la cinématographie de ce qui fait et se dit, le soir, dans une famille sarde, gros paysans ou petits bourgeois ou nobles de campagne.

A une table, dans un coin, deux enfans jouent aux cartes. Diego triche, se tortille sur sa chaise pour apercevoir le jeu de Maria, lui raconte des songes extravagans pour profiter de ses