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parce que leur mérite tout à fait éminent réside moins dans le sujet et dans la trame de l’action que dans l’impression vivante de l’ensemble, dans le mouvement incessant des âmes, dans le relief des mœurs, dans la beauté continue et toujours renouvelée des paysages, — dans Il vecchio della Montagna, dans Elias Portolù et dans Dopo il Divorzio, Grazia Deledda domine son talent et sa matière. La composition, un peu artificielle et malgré tout relâchée dans Il Tesoro, distendue et comme flottante dans La Giustizia, se resserre, et la clarté en reprend ainsi toute sa valeur. Entre le développement du sujet, qui est toujours l’histoire, extrêmement captivante, fougueuse et brûlante d’une passion malheureuse, et la description des mœurs sardes, la cohérence est plus étroite. Toujours plongés dans la vie de famille, les héros nous y engagent à leur suite, et leurs émotions retentissent ainsi dans un tissu électrique de vies entre-croisées ; mais, au lieu d’être perdus parmi les autres personnages, les amoureux, artisans involontaires de l’action, sont placés sous une lumière plus vive, au premier plan. Et cependant les personnages secondaires sont pleins de vie, eux aussi, et, jusqu’aux plus fugitifs, dessinés d’un trait qui demeure.

Cette puissance de créer de la vie, d’animer les moindres figures, était déjà bien frappante dans les précédens romans. On n’oublie pas, quand on les a rencontrés une fois, le père de Maria dans La Via del Male, Nicolà Noina, robuste, bavard et blagueur, ami des bons vins et des belles filles, et sa femme, propre, dévote, sérieuse, avec un grand visage blanc impassible et muet, — ni, dans Il Tesoro, la cousine Costanza, intelligente, honnête et chaste, orgueilleuse et jalouse, qui sèche de rage silencieuse quand elle devine, épie et surprend l’amour d’Alessio pour la servante Cicchedda. Dans La Giustizia surtout, à côté du couple principal, Stefano et Maria, que de figures attachantes, émouvantes, pittoresques ou comiques ! — donna Silvestra, la monaca di casa, la nonne volontaire qui vit recluse dans un ermitage attenant à la maison de son père ; — son fiancé, et bientôt son amant, Filippo Gonnesa, le bandit qui, accusé de complicité de meurtre, erre, déguisé, dans le maquis ; — la mère de Maria, sèche et fière, avec sa haute taille, sa lèvre moustachue et ses deux formidables yeux bleus sous l’arc touffu de ses sourcils noirs ; — la servante-maîtresse Serafina, insolente et chapardeuse, aux petits soins pour son vieux maître, — et ce vieux maître