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d’existence qui font que certaines grandes institutions résistent même à l’abandon et à l’anarchie. Cependant la tentative du Grand Electeur ne fut pas stérile. Si ses projets ne se réalisèrent point, si ses plus chères espérances furent trompées, au moins eut-il la gloire, en inventant une marine et en ébauchant un empire colonial, d’ouvrir des horizons nouveaux à la politique de ses successeurs, d’indiquer à son pays des sources inattendues de prospérité.

Sa pensée survécut à sa flotte, à ses écoles, à ses arsenaux et à lui-même. Elle hanta l’esprit de son arrière-petit-fils, Frédéric II, roi de Prusse. Celui-ci s’efforça de développer le commerce extérieur ; et, sans peut-être avoir le dessein de créer une Hollande allemande, il surveilla d’un œil attentif les opérations de sa flotte marchande. Son génie lui fit comprendre vite la nécessité de garder l’issue que, si heureusement, l’Electeur s’était ménagée sur la mer du Nord. Il établit à Emden un port franc ; attira de ce côté le mouvement de la navigation. Sans nul doute, il eût été plus loin encore dans la voie ouverte avant lui, si les guerres continentales, les alternatives de succès et de revers qui remplirent sa carrière, lui avaient laissé le loisir de tourner ses regards vers la mer. Une fois seulement dans sa vie, il eut à pourvoir à la défense navale de son royaume. La conception tactique que les événemens lui imposèrent eut une influence décisive sur la destinée de la flotte allemande. Il craignait, alors, une attaque et un débarquement des troupes suédoises et, comme il n’avait à son service aucun vaisseau de ligne capable de s’y opposer et d’aller combattre au large, il imagina d’organiser une escadrille de bateaux de pêche destinée à protéger les ports de commerce et les points menacés du littoral Probablement mal armée et mal commandée, l’escadrille fut dispersée et détruite. Mais la pensée qui l’avait créée subsista : elle s’imposa à tous les successeurs de Frédéric, et, pendant plus d’un siècle, elle détermina le rôle que devait jouer la marine en temps de guerre.

Ni la Révolution française, ni les conquêtes de Napoléon ne détournèrent complètement le gouvernement prussien de ses préoccupations constantes. Dès 1811, le ministre de Rauch, cherchant à exécuter sur des bases sérieuses le plan de défense improvisé autrefois, s’occupa d’organiser une flottille de canonnières qu’il ne put d’ailleurs, faute d’argent, parvenir à faire construire.