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faire parler d’eux. Ils promenèrent le pavillon sur les côtes du Maroc, où, sous la conduite du prince Adalbert, ils détruisirent un nid de pirates. Mais, un fait plus important attira bientôt l’attention de l’Europe : la baie de la Jahde fut achetée, pour cinq cent mille, limiers, c’est-à-dire pour un morceau de pain, à S. A. le duc d’Oldenbourg. C’est là qu’allait s’élever l’arsenal de Wilhemshafen, ce port sur la mer du Nord tant désiré par le Grand Electeur et par le Grand Frédéric, qui tous deux avaient cru vainement le trouver à Emden. Les travaux étaient commencés quand éclata la guerre des Duchés. La Prusse, à ce moment, ne pouvait encore réunir que deux mille matelots et un petit nombre de cadets et d’officiers. Ni l’escadre ni la flottille ne firent rien de très éclatant. Toute la gloire fut accaparée par les Autrichiens et leur amiral, Tegethof. La bataille d’Héligoland mit en pleine lumière cet incomparable chef, qui, plus tard, devait commander à Lissa. Sans attendre les canonnières prussiennes, que l’infériorité de leur marche empêchait de le suivre, il se précipita, avec ses deux seules frégates, sur l’escadre danoise rangée en bataille. Pendant six heures, il ne cessa de combattre, avec ses équipages décimés, sur ses bâtimens troués de boulets. Comme un brûlot s’était attaché à son navire et que déjà les flammes en léchaient les murailles, des officiers grimpèrent sur la passerelle et lui crièrent effarés : « Le feu est à bord ! » Il répondit tranquillement : « Qu’on l’éteigne. »

Après la campagne de Sadowa, M. De Bismarck se résolut à entrer en scène et à vivement soutenir la cause de la marine. La flotte prussienne était devenue officiellement la flotte de la Confédération du Nord ; le Roi en était le chef ; les États confédérés contribuaient à son entretien. Coup sur coup, de grands progrès s’étaient accomplis. On avait obligé la population cotière au service ; des écoles de sous-officiers et de mousses étaient créées ; l’industrie fournissait des hommes pour les machines, et M. De Bismarck, bien qu’adversaire déclaré des expéditions lointaines, reprenait en partie le programme du Grand Electeur. Ce n’étaient plus des canonnières que, dans de retentissans discours, il demandait au Parlement, c’était une escadre de vingt et un cuirassés et de vingt frégates blindées, capable de combattre dans les mers d’Europe : l’escadre de sa politique et de ses ambitions. Mais ce qui, plus peut-être que la construction des navires, le préoccupait, c’était la pénurie encore inquiétante du personnel. S’il