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considérable que l’ancien et qui devait imposer au budget des charges inattendues et colossales. Le pays, bien qu’énergiquement travaillé, ne montra aucun enthousiasme. Parmi les députés, ce l’ut bientôt une révolte. Tous les partis s’unirent pour combattre le gouvernement : les socialistes, les modérés du Centre, les radicaux. M. Bebel donna la main à M. Richter, et M. Richter à M. Lieber. La levée de boucliers fut générale. L’amiral de Tirpitz, mis à l’index, sentit sa situation compromise. En vain M. De Bulow monta-t-il à la tribune pour l’appuyer el le défendre ; en vain fit-il entendre cette déclaration très catégorique : « de même que, sans une année très nombreuse, nous ne pouvons nous maintenir en Europe ; de même, sans une marine puissante, nous ne pouvons garder notre situation dans le monde, » la Chambre resta hostile ; le projet parut condamné.

L’Empereur, prévoyant un insuccès, lit donner toute sa réserve. Les grands écrivains militaires, les von der Goltz, les Verdy du Vernois, les Janson, les Boguslawski entrèrent en lice. Convertis par Sa Majesté à la cause de la marine, ils la soutinrent par des argumens décisifs. Ils envisagèrent d’abord toutes les éventualités qui, à un moment donné, pouvaient menacer l’Allemagne : la guerre avec l’Angleterre, qu’ils affectaient de considérer comme prochaine ; la guerre avec la France unie à la Russie. Ils établirent que, dans les deux cas, aussi bien dans le second que dans le premier, une marine puissante était nécessaire, soit qu’on voulût écraser successivement les escadres de la Duplice, soit qu’on voulût effectuer un débarquement, envisagé comme possible, sur les côtes de la Grande-Bretagne. Mais ce qu’ils s’attachèrent surtout à mettre en lumière, ce fut l’impossibilité absolue du ravitaillement, si la liberté des mers n’était pas assurée par de fortes escadres. Ils insistèrent les uns et les autres sur ces faits : que le problème du ravitaillement, inconnu pour ainsi dire au temps passé, est devenu capital aujourd’hui, avec le système qui fait une armée de la nation ; qu’en temps de guerre, le travail est interrompu à l’atelier comme aux champs ; que c’est du dehors que doit venir non seulement tout ce qui est indispensable à la continuation de la lutte, mais encore à l’existence ; que, si les routes de terre sont fermées, ou si les sources voisines de l’approvisionnement ne sont pas suffisantes, ce qui est le cas ordinaire quand de grandes nations en