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viennent aux mains, il faut pouvoir aller chercher par-delà les océans les moyens de prolonger la vie nationale. Ils donnèrent en exemple la France, laquelle n’avait pu continuer sa résistance à l’invasion que grâce au va-et-vient de ses navires, allant jusque dans le Nouveau Monde chercher des munitions, des vivres et de l’argent pour soutenir une lutte désespérée. Von der Goltz posa en principe que, si les communications maritimes étaient interrompues, « la disette contraindrait l’Allemagne à céder ; » avec lui, Verdy du Vernois et tous ses collègues montrèrent l’Autriche et l’Italie, bien que mêlées à la querelle, refusant de se démunir au profit d’un allié ; la Hollande, la Belgique, la Suisse, trop petites ou trop pauvres pour subvenir aux besoins d’un immense empire ; la patrie, enfin, paralysée dans sa défense et condamnée à la défaite.

Jamais, depuis les célèbres conflits entre M. De Bismarck et le Parlement, on n’avait assisté à une lutte aussi violente. Cependant, le parti de la marine, malgré les efforts des écrivains techniques, malgré l’incontestable talent de l’amiral de Tirpitz, malgré même la volonté hautement manifestée de l’Empereur, eût infailliblement succombé, si un événement tout à fait inattendu n’eût brusquement changé la face des choses. Les Anglais commirent la faute de saisir, sur la côte du Sud-Africain, deux paquebots allemands : le Bundesrath et le Herzog, dont ils confisquèrent la cargaison, sous prétexte qu’ils portaient aux Boers des munitions et des armes. Cet acte de violence, considéré comme une injure au pavillon national, retourna subitement l’opinion et révolta l’Allemagne entière. Les argumens de von der Goltz, de Verdy du Vernois et de leurs collègues prirent tout à coup une forme palpable. Le danger, jusque-là théorique, apparut dans sa réalité. Aussitôt le gouvernement saisit aux cheveux l’occasion. Le projet de l’amiral de Tirpitz fut mis aux voix : il fut voté. C’était le dernier acte du drame. La marine, enfin victorieuse, put préparer l’offensive.

La flotte de l’amiral de Tirpitz, quand elle sera achevée, se composera de quatre escadres de huit vaisseaux chacune ; plus, de deux vaisseaux réservés aux amiraux commandant en chef ; de huit grands croiseurs, soit deux par escadre, et de vingt-quatre petits croiseurs des mers lointaines. La réserve comprendra quatre vaisseaux, trois grands croiseurs, quatre petits croiseurs. Comme tout est rigoureusement prévu dans les programmes allemands,