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VI

Le percement du souterrain devait, en principe, s’effectuer au moyen du « bouclier, » carapace défensive, à l’abri de laquelle s’exécutent la fouille et le revêtement et qui avance peu à peu sans cesser de maintenir les terres. Cette voûte provisoire de fer et d’acier, année à l’avant d’un fort tranchant, mue par l’air comprimé ou la presse hydraulique, découpe le cintre projeté, à même le sol, comme un gigantesque emporte-pièce. C’est un engin d’invention française, dû à l’ingénieur Brunel, qui, le premier, l’employa en 1825 sous la Tamise. Hersent, Jean Berlier et d’autres l’ont beaucoup perfectionné de nos jours. Soit retard des usines de construction, soit lenteur d’outils mal conditionnés, progressant de 2 mètres par jour seulement, le bouclier ira joué ici qu’un rôle moral ; il a servi à rassurer le public. Pratiquement, on s’en est peu servi. La galerie a été creusée par la méthode ordinaire : les ouvriers s’ouvrant un chemin dans la roche avec la poudre, dans le calcaire avec la pioche, avec le couteau dans la glaise.

Ce forage préliminaire est assez étroit : on l’élargit jusqu’au diamètre extérieur de la voûte future, que l’on construit aussitôt, à l’abri d’un boisage solide, étayant la terre d’alentour. Les mortiers de ce toit concave une fois pris, et les moindres vides comblés entre lui et le sol adjacent, par des injections de ciment liquide, il faut maçonner en sous-œuvre les parties latérales du tunnel, — les « pieds-droits, » — en enlevant la terre avec grandes précautions, pour ne pas ébranler la voûte. On opère, de bas en haut, sur des portions de trois mètres à la fois, et jamais sur deux parties en face l’une de l’autre, laissant à ces premiers murs le temps de durcir avant dévider entre eux de nouvelles parois. L’enlèvement du « strosse, » c’est-à-dire de la masse jusqu’ici intacte, qui obstrue le milieu du tunnel et 1 établissement du sol bétonné, — le « radier, » — terminent ces diverses opérations de l’ingénieur et du terrassier. Elles se poursuivent simultanément, une équipe suivant l’autre, à quelques vingtaines de mètres de distance.

L’infrastructure de la ligne Vincennes-Maillot s’est effectuée en dix-sept mois seulement, sans que le public se soit douté des difficultés vaincues : tantôt il fallait déranger de gros blocs de grès,