Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/630

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la moisson qu’il sème. La propriété, ce n’est pas seulement la simple possession matérielle d’une chose, c’est la portion d’intelligence humaine dépensée pour son amélioration, c’est la somme de labeur qui s’y est pour ainsi dire incorporée ; et, dans un pays neuf, elle est la source d’une des plus grandes jouissances de l’esprit humain, celle de la création, jouissance si vive et si pénétrante que ni les obstacles ni les fatigues ne peuvent en détourner ceux qui la poursuivent. Plus une terre a coûté de soins, plus son propriétaire y est attaché ; il ne la quittera qu’à regret et sous le coup d’une impérieuse nécessité. Les mille liens qui l’y enchaînent, en diminuant peu à peu ses goûts d’indépendance et ses instincts de nomadisme, transforment insensiblement ses mœurs, et ce n’est pas là un des moindres avantages de la loi providentielle du travail.

Nul pays, peut-être, mieux que l’Algérie ne peut mettre en lumière l’influence de la nature du sol sur les races qui l’habitent. Dans le Sahara, une population clairsemée et jalouse de son indépendance ne possède guère que ses tentes, ses armes et son bétail, maigres troupeaux que nourrissent à peine les pâturages plus maigres encore de l’Areg. Sa seule industrie est le pillage ou la rançon des caravanes, et, pour s’y livrer, elle se déplace avec une prodigieuse facilité dans ses steppes sans limites ; elle ne détient même pas le sol que recouvre sa tente.

En se rapprochant de la mer, les tribus du Sud algérien sont encore nomades, mais déjà leurs migrations suivent certaines lois précises. Vivant dans des régions semi-désertes, elles s’y déplacent pendant le cours de la saison hivernale, suivant les besoins de nourriture de leurs troupeaux ; lorsque surviennent les chaleurs et la sécheresse de l’été, beaucoup d’entre elles se transportent dans la région des hauts plateaux : elles y occupent alors des terrains de pâturage qui leur appartiennent de temps immémorial et sur lesquels elles reviennent chaque année. On ne trouve dans ces tribus nulle trace de propriété individuelle, car elles vivent exclusivement de la vie pastorale, et le pâturage n’exige aucune appropriation du sol.

Lorsqu’on parvient aux hauts plateaux et au Tell, la propriété prend un caractère plus marqué, car la culture des céréales vient se combiner avec le régime pastoral ; c’est la région de la propriété familiale indivise, et non point de la propriété collective, comme on l’a pensé pendant longtemps. Sur un point