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gouvernement, et les tribus n’avaient sur elle qu’un droit de jouissance ; d’autres soutiennent que, dans le nord de l’Afrique, les traditions n’ont jamais accordé au conquérant plus du cinquième du pays conquis ; enfin, certains commentateurs des jurisconsultes arabes déclarent que celui qui vivifie une terre morte, c’est-à-dire le premier occupant, en devient propriétaire. Ce sont là des théories très contradictoires et entre lesquelles le choix serait malaisé, si la question de propriété n’avait été définitivement tranchée ; par le sénatus-consulte de 1863, qui a accordé aux tribus la propriété des territoires dont elles jouissaient de temps immémorial. Cet acte, d’une importance capitale pour la colonie, a été à la fois l’objet des critiques les plus passionnées et les plus injustes, et des éloges les plus exagérés.

À cette époque, le caractère véritable de la propriété indigène était mal connu, et on la considérait à tort comme une propriété collective de la tribu, non comme une propriété familiale indivise. Après avoir posé le principe de la propriété incommutable des indigènes sur les territoires occupés par eux, le sénatus-consulte décidait qu’il serait procédé à la reconnaissance et à la délimitation du territoire des tribus ; cette opération terminée, on devait successivement déterminer, dans chaque tribu, le territoire de chaque douar et, dans chaque douar, la propriété privée. Dans la pensée de ses auteurs, cette opération constituait : « 1° un acte de générosité de la part de la France ; 2° une satisfaction et une facilité données à la colonisation ; 3° un bienfait pour le peuple arabe ; 4° un affaiblissement de la tribu ; 5° une garantie de sécurité ; 6° une augmentation d’impôts. »

La satisfaction donnée à la colonisation était réelle, puisqu’en créant la propriété privée chez les indigènes, on leur permettait la vente aux colons : mais, soumise aux formalités lentes et compliquées du sénatus-consulte, elle ne devait se produire qu’à une échéance si éloignée qu’elle devenait illusoire ; ainsi, au moment où l’on manifestait l’intention d’encourager par tous les moyens la colonisation, on lui promettait des terres en abondance dans un avenir de vingt ou vingt-cinq ans. C’était compter sur une dose de patience que possèdent rarement les hommes, et particulièrement ceux qui, doués d’initiative et d’énergie, veulent consacrer leur vie à la colonisation. L’affaiblissement de la tribu présentait de grands avantages, mais il est aujourd’hui démontré qu’il a grandement contribué à diminuer la sécurité. Enfin,