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jours, chez des peuples slaves incontestablement plus civilisés que les Arabes, ne voyons-nous pas fonctionner régulièrement des communautés familiales exploitant dans l’indivision une portion de la propriété collective de la commune ? N’est-ce point là une association naturelle qui cumule les avantages de notre association commerciale, de nos sociétés de secours mutuels et de nos assurances ? Le peu de valeur de la main-d’œuvre ne permet-il pas d’espérer avec le temps une transformation de la culture qui perdra graduellement son caractère démesurément extensif pour devenir peu à peu intensive ? Il est peu probable que des efforts individuels puissent remplacer avantageusement ce mode d’exploitation avant que la société arabe ait subi une profonde transformation. D’ailleurs, le régime des successions musulmanes arrive à subdiviser la propriété en fractions si petites que leur culture deviendrait impossible ; établir la propriété individuelle dans le Tell, c’est souvent ôter à l’indigène le moyen de faire valoir sa terre et le réduire à l’indigence. Or, dans un pays encore presque barbare, tout indigent devient vite un vagabond et un brigand. La question de constitution de la propriété a donc des liens très étroits avec celle de la sécurité du pays, et c’est là une considération capitale. Si des raisons purement spéculatives on descend à d’autres considérations d’un ordre moins relevé, on demeure convaincu que l’intérêt même de la colonisation nous commande de laisser subsister la propriété indivise, car elle seule peut empêcher la disparition de la race indigène, et, indépendamment de tout sentiment d’humanité, notre intérêt nous engage à conserver cette race sobre, laborieuse et habituée au climat algérien ; sans son aide, que ferait le colon nouveau venu dans le pays ? Comment pourrait-il entreprendre les défrichemens et mettre sa terre en valeur, épuisé qu’il est le plus souvent par la fièvre ou l’ardeur d’un soleil brûlant ?

A tous points de vue, le régime de la propriété familiale et indivise est donc nécessaire, et il est impossible de laisser pénétrer dans les douars le principe de la division par la seule volonté d’un des propriétaires. La licitation entre indigènes est, la plupart du temps, une ruine pour les copartageans. Un usurier ou un agent d’affaires véreux convoite-t-il de longue date une belle propriété, il dresse aussitôt ses batteries, circonvient l’un des communistes, et lui prête de l’argent ; à l’échéance, la dette non remboursée s’accroît d’intérêts énormes ; l’emprunteur n’a