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horloges qui représentent dans Park How le journalisme américain, cette imposante façade de brique rouge et cette tour de 285 pieds de haut. Une statue de son fameux fondateur, Horace Greely, en garde la porte. A en juger du dehors, le directeur de ce journal doit être un homme important. Voici pourtant de quelle façon le traita Jacob Riis peu de temps après son accès à de nouvelles fonctions. Courant un soir, hors d’haleine, à l’imprimerie par un vent comme il n’en souffle qu’à New-York, il heurte, dans sa précipitation, un individu qui va rouler dans un tas de neige, et, à la voix de l’homme justement en colère, reconnaît son directeur ! Des excuses balbutiées s’ensuivent :

— Il fallait à tout prix rattraper l’édition du soir…

— Vraiment ! Et courez-vous toujours ainsi quand vous êtes porteur d’une nouvelle ?

— S’il est tard, oui, sans doute. Comment ma copie passerait-elle ?…

Le lendemain il fut appelé, pour recevoir son congé, pensait-il. Mais non, il ne s’agissait pas de cela. Il y avait une place vacante au quartier général de la police, Mulberry Street. On l’y envoyait, avancement inespéré. Là il pourrait être brutal, courir et renverser les gens à son aise.

Jacob Riis ne connaissait Mulberry Street que de réputation, et cette réputation était redoutable. Il s’agissait pour le reporter de la Tribune d’y lutter sur un terrain difficile et dangereux contre les représentans de tous les journaux, également aux aguets. Ils étaient douze contre un, et c’était une vieille querelle menée avec un acharnement légendaire. Quel était son genre de travail ? Comment trouva-t-il, en s’y livrant, le point de départ de deux livres qui remuèrent en Amérique les consciences et les cœurs : L’Autre Moitié et Dix Ans de guerre ? Voici :

Le reporter de police est celui qui recueille et rédige toutes les nouvelles de meurtres, d’incendies, de crimes quelconques, avant que les tribunaux n’en soient saisis. Il a son bureau dans Mulberry Street en face de la station centrale de la police, d’où il reçoit la première nouvelle de l’événement, quand il la reçoit, car la police prétend que le reportage contrarie la justice, c’est-à-dire qu’elle n’aime pas à être convaincue d’avoir laissé échapper un malfaiteur. Le reporter qui arrive à découvrir ce que la politique spéciale de la police croit avoir intérêt à lui cacher gagne la partie contre tous ses confrères.