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sous la place, en contenait quinze ; il démontra de même, au début d’une épidémie de typhus, que le mal avait les meilleures raisons de se développer dans les logemens de police, seuls asiles ouverts aux errans de tout âge, de jeunes garçons y étant confondus avec les vieux endurcis. La photographie fut toujours pour lui le plus utile auxiliaire. Ne prétendait-on pas que les enfans employés dans les fabriques avaient tous quatorze ans révolus ? Il alla simplement les relancer à l’atelier, son appareil sous le bras, leur fit ouvrir la bouche et photographia leurs mâchoires. Les dents canines n’étaient pas poussées. Donc ils avaient moins de douze ans. De même pour les écoles ; las d’entendre toujours exalter les écoles de New-York comme les meilleures du monde entier, il démontra, photographies et statistiques en main, que beaucoup d’entre elles n’avaient pas de cour de récréation et manquaient d’air autant que d’espace. Les enfans y étaient honteusement empilés, bien que 50 000 d’entre eux, faute de place, restassent à rôder dans les rues, où il ne leur est pas permis de jouer à la balle sans être poursuivis par la police. Il y eut même le cas d’un policeman tirant sur ce pauvre petit gibier du ruisseau, car la police municipale de New-York, si elle est ordinairement vigilante, ce que lui permet l’importance de ses cadres où 3 650 hommes sont inscrits, est aussi très brutale. Il est vrai qu’elle a sur les bras une rude besogne ; mais Théodore Roosevelt fut le premier à lui apprendre qu’en matière de sûreté la fin ne justifie pas tous les moyens sans exception. Jacoh Riis a dénoncé plus d’une fois la police, malgré sa camaraderie avec elle. Il flagelle aussi les églises, à l’occasion, pour transformer en zèle charitable leur tiédeur pharisaïque à l’égard du prochain. N’oublient-elles pas trop souvent que, tout en marchant séparées, selon la confession de chacune, elles sont tenues de combattre ensemble ? N’oublient-elles pas, n’oublions-nous pas tous « que le Seigneur ne dit jamais à Pierre ou à tout autre subalterne : — Va-t’en toucher là-bas ce lépreux à ma place et tu seras payé ? — Non pas, il le touchait lui-même[1]. »

Ni ami ni ennemi n’est à l’abri des coups de Jacob Riis : la vérité seule lui importe ; il tirerait sur ses propres troupes, s’il lui semblait juste de le faire.

  1. Le mot est d’un ecclésiastique, le docteur Parkhurst, qui entra résolument dans les vues nouvelles, au grand scandale de quelques-uns de ses collègues.