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irrévocable ; nous avons montré, au début de cet article, avec quelle rapidité et quelle facilité déconcertante pour les bimétallistes la révolution s’était accomplie. Nous avons ensuite essayé de prévoir la marche probable, au cours des prochaines années, des pays qui n’ont pas accompli l’évolution complète ou qui ne l’ont pas encore commencée. Il nous reste à mesurer les conséquences de ces événemens.

Disons tout d’abord quelles sont moins profondes, moins considérables qu’on ne pourrait le croire. La monnaie joue dans l’économie des sociétés humaines un rôle bien moins prépondérant que l’imagination populaire ne se plaît à se l’imaginer. Elle est certes un merveilleux instrument, une simplification admirable des échanges ; elle donne à notre esprit un moyen parfait de comparer instantanément entre eux un nombre illimité de produits, qu’il s’agisse de marchandises qui se pèsent, se mesurent et se comptent, ou de services matériels ou intellectuels. Mais elle n’est qu’un instrument. Il est bien vrai que cet instrument, à la différence du mètre, qui est une mesure idéale, et qui n’est pas autre chose, que cet instrument monétaire porte en soi sa valeur ; mais une partie de cette valeur, la plus grande peut-être, est due précisément au fait qu’elle est acceptée par le genre humain comme équivalent, dans des proportions déterminées, de toute chose. Retirons au métal précieux cette fonction monétaire, et il perd aussitôt une fraction, souvent énorme, de son prix : nous l’avons bien vu pour l’argent. Que, plus tard, l’or à son tour soit remplacé dans ce rôle, qui va lui être exclusivement réservé, de servir de monnaie universelle libératoire, et il cessera de valoir 3 444 francs le kilogramme. Mais, nous dira-t-on, votre hypothèse est absurde : le franc étant, par définition, la trois mille quatre cent quarante-quatrième partie d’un kilogramme d’or, comment pouvez-vous parler de 3 444 francs d’or qui ne vaudraient plus 3 444 francs ? c’est de la logomachie pure. Soit : mais supposons qu’une autre substance forme plus tard l’unité monétaire ; qu’un diamant quelconque soit devenu le franc. Nous disons que le kilogramme d’or, qui achète aujourd’hui, par exemple, 150 quintaux de blé, n’en achètera plus que 100, que 50, moins peut-être ; le fait qu’il ne remplirait plus une fonction qui lui assure un débouché illimité le déprécierait par rapport à tous les autres objets. Nous avons perdu l’habitude de comparer directement l’or avec les produits ou les services, précisément parce