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que nous exprimons tous ces produits et tous ces services dans une valeur qui finit par être plutôt idéale que réelle et qui apparaît à notre esprit aussi bien sous la forme d’un billet de banque que sous celle d’un certain nombre de disques jaunes. Mais, le jour où nous aurions, par le consentement commun de l’humanité, créé une autre monnaie, nous serions amenés à donner moins de blé ou de laine que nous n’en donnons aujourd’hui pour ce kilogramme d’or, dont nous n’aurions plus alors besoin que pour fabriquer des montres, des bijoux ou de la vaisselle plate. Ne peut-on même pas soutenir que ces emplois industriels, dans une certaine mesure, diminueraient par le fait que l’or ne serait plus métal monétaire ? Sans doute l’abaissement du prix pourrait à son tour stimuler cette consommai l’on : car le métal présente un ensemble de qualités qui le font rechercher pour certains emplois. Mais n’est-ce pas aussi parce qu’un métal est monétaire, a force libératoire illimitée, peut à tout moment être transformé en monnaies ayant cours légal, que les hommes le recherchent ?

Bien entendu, ce métal doit présenter des avantages en soi, et se prêter notamment à des emplois d’art et de luxe. Mais n’avait-on pas jadis d’autant plus volontiers de la vaisselle plate d’argent que l’on savait la valeur, alors incontestée, de ce métal ? Tout le monde n’était pas amené, comme Louis XIV à la veille de Denain, à envoyer son argenterie à l’Hôtel des monnaies pour la faire fondre en écus : mais la certitude qu’on pouvait le faire en cas de besoin n’entrait-elle pas dans la recherche de ces objets ? Chaque famille ne considérait-elle pas cette vaisselle plate comme une sorte de patrimoine, une réserve pour les jours difficiles ? Et n’est-il pas permis de penser que, la fonction monétaire étant retirée à une substance, elle sera, toutes choses égales d’ailleurs, moins affectée à de tels emplois ?

Quoi qu’il en soit, toute monnaie a toujours eu le caractère distinctif d’avoir une valeur propre : tels le bétail (pecus) des anciens, le paquet de tabac du Maryland, la pièce de cotonnade (guinée) ou la barre de sel de l’Afrique occidentale. Lorsque cette monnaie s’incarne dans un billet, celui-ci équivaut à l’engagement de remettre au porteur un poids déterminé de métal précieux, ou, d’une façon générale, de la valeur qui constitue l’étalon. Le billet n’a de valeur qu’autant que cette promesse est exécutée, ou bien, si l’exécution en est différée, que le porteur