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N’était-ce pas de l’inconsistance, après avoir maudit à Auxerre et pendant tout son règne les traités de 1815, d’arriver à les considérer comme intangibles sans le consentement de ceux qui les avaient établis contre notre grandeur ?

N’était-il pas illogique d’affirmer, en même temps, le droit des peuples à se constituer librement et le droit des souverains étrangers d’examiner si les changemens qu’ils opèrent dans leur constitution intérieure ne compromettent pas l’ordre établi en Europe ? N’était-ce pas l’ordre établi en Europe qu’on avait opposé à la Grèce, à l’Italie, à la Roumanie et qu’on avait tenté d’invoquer contre l’élection de Napoléon III ? Dire à la fois qu’on ne poursuivait aucun agrandissement territorial, mais que cependant, on en réclamerait un si la carte de l’Europe était modifiée au profit exclusif d’une grande puissance, n’était-ce pas détruire la première proposition par la seconde, puisqu’il était certain que si l’Autriche était victorieuse elle prendrait la Silésie, et que si la Prusse l’était, elle croquerait un des États qui la gênaient, et engloberait les autres dans une forte Confédération dont elle serait la maîtresse ? Appartenait-il à un souverain français, à un Napoléon, de se donner la mission de resserrer par une plus solide soudure les provinces éparpillées d’une nation militaire, avec laquelle nous nous étions déjà mesurés et quelquefois avec désavantage ? Ne pas s’y opposer c’était beaucoup ; y travailler n’était-ce pas trop ? On ne voulut pas supposer dans notre chef une telle inconscience des intérêts de son peuple. Bien plus qu’après le discours d’Auxerre on crut généralement qu’un traité secret déjà signé nous donnait la frontière du Rhin, et que, si ce traité n’était pas conclu, l’Empereur était décidé à prendre ce qu’on ne lui aurait pas, accordé, et que la Prusse victorieuse ou vaincue ne pourrait conserver ses agrandissemens ou arrêter l’Autriche qu’en accordant à la France de larges compensations sur le Rhin.

Cette conviction produisit en Allemagne un véritable soubresaut de sentimens : on y considéra qu’après tout, la puissance prussienne était encore la meilleure garantie contre l’ambition de l’Empereur et cette guerre, jusque-là si odieuse, cessa de l’être. Le national-verein, malgré son amour de l’Augustenbourg, se rapprocha de Bismarck ; les poitrines se desserrèrent ; et l’on vit, pour la première fois, des bataillons de landwehr traverser Berlin au bruit des applaudissemens.