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Bourgogne ; quelque plaisir que j’aie d’entendre ses louanges, elles lui coûtent trop cher : ce n’est pas sa mort que je crains ; je ne puis la regarder comme un malheur pour ceux qui la soutirent ; mais je crains pour sa santé et pour une grosseur qu’elle a au côté, qui pourra bien augmenter par une tristesse aussi longue que celle-ci. Les larmes qu’elle verse lui ont attiré une fluxion sur les dents, à quoi elle n’est que trop sujette, et qui lui ôte entièrement le repos. Elle craint pour la France ; elle craint pour l’Espagne ; elle craint pour M. le Duc de Berry, et, par-dessus tout, elle craint que M. le Duc de Bourgogne ne se laisse trop conduire par les conseils qui l’environnent. » Et, dans une lettre postérieure de quelques jours, elle ajoute : « Les trois quarts du monde pensent présentement comme moi sur Madame la Duchesse de Bourgogne ; sa conduite en effet est admirable et serait fort louée dans une vieille reine mère ; elle passe ses jours à écrire à l’armée et à prier Dieu. »

Combien sous cet aspect de vieille reine mère, la Duchesse de Bourgogne nous paraît changée ? Comme elle est loin, la femme qui, cinq années auparavant, toute à ses coquetteries avec Nangis, laissait son mari sans lettres pendant de longs mois, et dont toutes les journées, toutes les nuits se passaient en divertissemens. Prier Dieu en était devenu l’unique emploi ; non seulement elle assistait aux prières publiques et, suivait les processions « avec une piété, dit Sourches, qui édifiait tout le monde[1] ; » non seulement, pendant toute cette période d’anxiété, elle ne manqua aucune grand’messe, ni aucun salut, mais elle se livrait à des dévotions particulières qui faisaient un étrange contraste avec ses habitudes ordinaires. Elle passait une partie de ses nuits en prières à la chapelle, devant le Saint-Sacrement, et « mettoit ses dames à bout par ses veilles[2]. » Le reste de son temps était employé à écrire à son mari. Mais cette piété exaltée ne prenait point chez elle, comme chez lui, la forme d’une résignation un peu fataliste. De même qu’elle le jugeait bien en craignant qu’il ne se laissât trop conduire, elle paraît aussi avoir eu le sens plus juste que lui de ce que l’honneur commandait. Comme un jour Monseigneur lui reprochait presque son inquiétude : « Il est vrai, Monseigneur, répondit-elle avec vivacité, je pétille de la crainte que M. le Duc de Bourgogne ne marche

  1. Sourches, t. XI, p. 169.
  2. Saint-Simon. Édition Boislisle, t. XVI, p. 299.