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Contre ce déchaînement général que pouvait en faveur de son mari la pauvre princesse : prier et pleurer. Elle ne s’en faisait pas faute. « J’ai le cœur bien gros, ma chère tante, disait-elle, un soir, à Madame de Maintenon, en arrivant chez elle, j’ai peur de vous importuner. Cependant je voudrais bien pleurer avec vous[1]. » Elle trouvait du moins auprès de Madame de Maintenon l’appui et la tendresse dont elle avait besoin. Saint-Simon lui-même est obligé de reconnaître que, dans celle circonstance difficile, Madame de Maintenon se montra une fidèle amie du Duc de Bourgogne. Que ce fût par tendresse pour la Duchesse de Bourgogne, par sentiment de la justice, ou, comme le prétend Saint-Simon, parce qu’elle était « piquée au vif de sentir, pour la première fois de sa vie, qu’il y avoit des gens qui, par rapport à eux, avaient pris sur elle le dessus auprès du Roi, » il n’importe. Ce qui est certain, c’est quelle tint bon pour le Duc de Bourgogne ; non point qu’elle l’approuve : elle savait trop combien les ordres du Roi étaient formels, mais on voit dans ses lettres à la princesse des Ursins qu’elle cherche à l’excuser.

« Le Roi seul est ferme à vouloir le combat pour le secours de Lille et pour l’honneur de notre nation. Le Duc de Bourgogne n’est pas de cet avis-là, parce qu’il y voit tous les officiers généraux opposés. M. De Berwick est à leur tête. Le seul M. De Vendôme veut attaquer et forcer tous les retranchemens ; les autres soutiennent que l’armée du Roi y périra et n’ont guère de confiance dans M. De Vendôme depuis la malheureuse affaire d’Oudenarde… Madame la Duchesse de Bourgogne craint que son mari ne se laisse trop conduire par les conseils. Mais comment M. le Duc de Bourgogne peut-il se défendre des conseils de M. le maréchal de Berwick, qui est un très honnête homme, très habile dans la guerre, et que le Roi a envoyé près de ce prince pour le conseiller ? » Et dans une autre lettre : « Que pouvait faire notre prince, qui n’a pas encore grande expérience, et qui se trouve dans l’affaire du monde la plus difficile, que de croire un homme qui a la confiance du Roi son père ? Comment peut-il juger et démêler par lui-même qu’on lui donne des conseils trop timides, et qu’il faut s’abandonner à M. De Vendôme contre lequel les trois quarts de l’armée sont déchaînés[2] ? »

  1. Lettres historiques et édifiantes, t. II, p. 275.
  2. Lettres inédiles de Mme de Maintenon à la Princesse des Ursins, t. I, p. 315-325-354.