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ses ordres, et je souhaite infiniment de me tromper dans mon raisonnement. Mais je suis bien aise qu’elle voye que j’obéis malgré mes lumières particulières, et que je ne suis pas si attaché à mon sens que je ne le sois encore plus à ses ordres[1]. »

Au moins aurait-il fallu se hâter. Cependant, dans cette même dépêche, le Duc de Bourgogne annonçait au Roi qu’il ne rassemblerait son armée que le 24 octobre, pour passer l’Escaut le 25 et se joindre à Vendôme le 26. Encore Vendôme trouvait-il que le Duc de Bourgogne se pressait trop, et il lui demandait de retarder sa mise en marche de trois jours pour lui laisser le temps de reprendre sur les ennemis la place de Leffinghe que la Mothe avait perdue. Mais il était trop tard pour s’arrêter à ces vains projets : le 23, Vendôme et le Duc de Bourgogne recevaient une nouvelle à laquelle ils auraient pu depuis longtemps s’attendre : Lille avait capitulé.

Nous regrettons de ne pouvoir, sans sortir de notre sujet, rapporter l’héroïque défense opposée par Boufflers aux efforts réunis de Marlborough et d’Eugène. Ce récit nous consolerait des fautes et des défaillances que nous n’avons point dissimulées. La place tenait bon depuis près de deux mois. Du 27 août au 21 octobre, elle avait repoussé six attaques, et Boufflers avait le droit d’écrire à Louis XIV que « la chose étoit sans exemple. » Depuis le premier jour, le vieux maréchal était l’âme de la défense. « M. le Maréchal ne se repose pas ou très peu, dit un Mémoire des dispositions du siège. Il ne s’est pas encore déshabillé depuis le premier jour de l’attaque. Il visite les brèches et les ouvrages d’une manière du monde la plus intrépide. Il ne manque pas de passer ses nuits sous la petite voûte contre la porte d’eau, attrayant quelques heures en passant pour les donnera son repos. » Boufflers se nourrissait, comme toute la garnison, de viande de cheval. « Tout le maigre est rouge comme le sang, et le gras jaune comme la cire… Voilà, continue le Mémoire, la seule pitance d’un homme qui non seulement se prive de son repos sans relâche, travaillant jour et nuit, mais qui ne peut pas disposer d’un seul moment de son temps, et qui s’expose perpétuellement au feu et à la perte de sa propre vie[2]. »

  1. Dépôt de la Guerre, 2 083. Le Duc de Bourgogne au Roi, 22 oct. 1708.
  2. Le Siège de la ville et de la citadelle de Lille, par le lieutenant Sautai, p. 237-238.