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9 heures du soir.

« Je ne crois pas avoir rien à ajouter à ce que je vous ay dit tantost, sinon que, si Madame la Duchesse de Bourgogne veut un bal à Tournay, nous aurons des hautbois dans l’armée meilleurs peut-estre que ceux qui jouent à Marly, et que, sans ce bal, je ne pense pas la voir danser de cet hyver, estant persuadé, comme je vous l’ay dit, que j’en passerai la plus grande partie sur les bords de l’Escaut. Je vous demande encore de la rassurer, ainsy que vous me l’avez promis, car, puisque je luy prépare un bal, je ne suis pas encore dans la dernière désolation. C’est ce que vous luy direz, je vous prie, de ma part[1]. »

Le Duc de Bourgogne conçut-il véritablement la pensée bizarre de faire venir la Duchesse de Bourgogne à Tournay et de lui offrir un bal ? Ne faut-il voir, au contraire dans cette lettre, qu’une de ces plaisanteries un peu lourdes dont il était coutumier, et par laquelle il aurait voulu lui montrer qu’il n’était pas dans la dernière désolation. Nous serions en peine de le dire. Aussi avons-nous cru devoir reproduire la lettre elle-même, parce qu’elle témoigne tout au moins d’un état d’esprit assez singulier.

Le voyage de Chamillart eut encore un autre résultat que de mettre d’accord, au moins en apparence, le Duc de Bourgogne et Vendôme. Quelques jours après son retour à Versailles, il transmettait à Berwick, de la part du Roi, l’ordre de se rendre en Allemagne pour y prendre le commandement de l’armée qui allait être dispersée dans ses quartiers d’hiver. Berwick acceptait avec dignité ce changement qui était, sinon une disgrâce, du moins un désaveu, et qu’il avait lui-même sollicité. « Je souhaitte, écrivait-il à Chamillart, que mon départ rende à M. De Vendosme, la tranquilité qu’il n’avoit plus, et qu’il tasche de mériter la confiance de Mgr le Duc de Bourgogne. Je vous assure que quelque fâché que soit M. De Vendosme contre moy, je lui souhaitte toute sorte de prospérité et de gloire… Mon sentiment a été différent du sien. Ce n’étoit pas là une raison pour se brouiller, et je crois n’avoir rien à me reprocher ny sur ma conduite à son égard, ny sur ce que j’ay fait depuis mon arrivée en Flandre[2]. »

  1. Dépôt de la Guerre, 2084. Le Duc de Bourgogne à Chamillart, 8 nov. 1708.
  2. Ibid., 2 084. Berwick à Chamillart, 15 nov. 1708.